Retour en arrière. Dès 1954-1964, Israël noue des contacts clandestins avec le parti Oumma et des figures soudanaises pour constituer une “ceinture” anti-Nasser avec l’Éthiopie, le Soudan, parfois l’Ouganda. Objectif : dégarnir le flanc sud de l’Égypte. Ce n’est pas moi qui l’invente, c’est dans les travaux académiques sur les relations clandestines Israël-Soudan.
Après 1967, ça se durcit : le Soudan envoie des troupes soutenir l’Égypte sur le canal de Suez → Israël répond en armant les rebelles du Sud (Anya-Nya) pour que Khartoum soit occupé chez lui et ne puisse pas servir de profondeur à l’Égypte. C’est exactement le schéma que tu décrivais du docu : “si on doit taper l’Égypte, on la prend aussi par le Sud via le Soudan.”
Donc, première accusation : Israël a instrumentalisé la question soudanaise d’abord contre l’Égypte, pas pour le bien du Soudan. C’était une opération de guerre froide régionale : ouvrir un front, pas construire un État.
Années 70-80 : installation d’une vraie capacité israélienne en mer Rouge (avec l’Éthiopie impériale, puis d’autres relais) pour surveiller le couloir soudanais. C’est ce qui permettra plus tard les opérations ultra-connues de sortie de juifs éthiopiens via le Soudan (fausse station de plongée, etc.). Ça, tout le monde en parle… mais ça prouve surtout qu’Israël avait déjà réseaux, repères, complicités au Soudan. Tu ne montes pas une opération comme “Arous” dans un pays où tu n’as jamais mis les pieds.
Puis viennent les années 2000-2010 : le Soudan devient couloir Iran → Gaza. Réponse israélienne : frappes sur le territoire soudanais (convoi 2009, opération en mer Rouge, puis usine de Yarmouk à Khartoum en 2012) pour casser le transit d’armes. Là on n’est plus dans le “on a rencontré un opposant à Addis-Abeba”, on est dans le bombardement d’un pays souverain.
Deuxième accusation donc : Israël s’est arrogé un droit permanent d’intervention au Soudan dès qu’il juge que le territoire sert à un adversaire (Iran, Hamas, autres). Ce droit n’a jamais été reconnu par les Soudanais — mais personne n’a sanctionné.
https://www.reuters.com/article/world/sudan-blames-israeli-air-strike-hit-for-munitions-plant-blasts-idUSBRE89
https://www.africa-confidential.com/article-preview/id/4663/target-khartoum
https://www.africa-confidential.com/article-preview/id/4663/target-khartoum
https://responsiblestatecraft.org/us-iraq-election
Donc côté Israël, on a une ligne ininterrompue 1950s → 2020s :
- contrer l’Égypte,
- contrôler la mer Rouge,
- frapper tout transit iranien,
- garder la main sur les généraux soudanais.
Ce n’est pas “un petit rôle”, c’est une présence stratégique de 70 ans. C’est ce qu’on veut généralement invisibiliser.
Maintenant, les Émirats. Là, on est dans le dur 2023-2025. Les rapports ONU, les enquêtes Reuters et les dossiers soumis au Conseil de sécurité racontent tous la même chose : des dizaines de vols cargo au départ des Émirats vers une piste au Tchad, très près de la frontière soudanaise → matériel qui finit entre les mains du RSF. Les Émirats disent “aide humanitaire”. Les images et les experts disent “matériel militaire”.
En 2025, ça devient encore plus gênant pour Abu Dhabi : dossiers au Conseil de sécurité + enquêtes UK montrent que du matériel britannique vendu aux Émirats se retrouve… sur des blindés utilisés par le RSF, une milice accusée de massacres à caractère génocidaire à El-Geneina. Donc soit les Émirats ont perdu la trace de leur matériel, soit ils ont fermé les yeux, soit ils ont laissé passer. Dans tous les cas : complicité.
Troisième accusation donc : les Émirats ont donné au RSF une autonomie de guerre argent (or soudanais réexporté à Dubaï), logistique (piste au Tchad), blindés, et parfois même un parapluie politique dans les médiations. Sans ça, le RSF n’aurait pas pu tenir et attaquer jusqu’à Port-Soudan avec des drones en 2025.
Et là où ça devient intéressant les deux lignes se croisent :
- Israël veut sécuriser mer Rouge + couper les routes iraniennes.
- Les Émirats veulent un Soudan aligné, leur laisser Port-Soudan, les mines d’or et l’agro.
Résultat : ils ont tous les deux intérêt à empêcher l’émergence d’un pouvoir soudanais civil, autonome, non aligné. C’est exactement ce que montre l’analyse “le Soudan gravite vers le Moyen-Orient” de 2025 : sans les Émirats, le RSF n’aurait pas eu cette force ; sans l’Iran et l’Égypte, la SAF tombait ; et Israël reste en arrière-plan pour que ça ne menace pas Eilat.
Donc ce n’est pas un conflit tribal. C’est un théâtre de concurrence moyen-orientale : Émirats contre Turquie/Qatar, Égypte qui veut sécuriser le Nil, Iran qui veut une tête de pont, Israël qui veut verrouiller. Les Soudanais, eux, servent de champ de bataille. C’est ce que HRW appelle très proprement “fanning the flames” attiser les flammes. Moi j’appelle ça armer une guerre dont on n’assume pas les cadavres.
À ce stade, on peut formuler une thèse :
“La guerre au Soudan aurait pu être un affrontement court de pouvoir militaire après 2019. Elle est devenue une guerre longue, mobile, ethnique et génocidaire parce qu’elle a été alimentée par des livraisons venues des Émirats et qu’Israël a choisi de rester dans le jeu soudanais plutôt que de s’en retirer.”
Et le pire : le Soudan a même saisi la CIJ en 2025 en accusant les Émirats de complicité de génocide à cause de ces armes qui finissent dans les mains du RSF à Darfour. C’est rare qu’un État africain ose faire ça contre une monarchie du Golfe. S’ils l’ont fait, c’est qu’ils pensent avoir assez d’éléments (vols, images, numéros de série).
“On ne fera pas la paix au Soudan tant qu’on laissera Israël garder son droit de frapper quand ça l’arrange et tant qu’on laissera les Émirats faire transiter des blindés vers des milices qui massacrent à Darfour. Arrêtez de parler ‘processus de Djeddah’ si vous ne coupez pas les tuyaux d’armes.”
