mardi 25 novembre 2025

À Paris, une mise en scène rabâchée de la lutte contre l’antisémitisme




Sous l’égide d’Anne Hidalgo, un sommet des maires européens a réuni à l’Hôtel de Ville des élus locaux et des responsables gouvernementaux, aux côtés d’organisations pro-israéliennes. Un énième exemple d’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme, où les mêmes cibles sont visées et où la diabolisation du boycott revient en force, alors même que la Cour de cassation vient d’en reconnaître la légalité.

« Ne vous inquiétez pas, toute la nourriture est casher », rassure un agent d’accueil, en anglais, à quelques mètres du buste de Marianne, à l’étage de réception de l’Hôtel de Ville de Paris.

Le sommet 2025 de Paris des maires contre l’antisémitisme (2025 Paris Mayors Summit Against Antisemitism), organisé chez Anne Hidalgo (Parti socialiste) et sous son patronage le 20 novembre, en marge du 107e Congrès des maires de France qui se tenait du côté de la Porte de Versailles, est passé sous les radars des médias nationaux. Tout au long de la journée et des interventions, le mélange des genres sera permanent. À ce niveau, ce n’est plus de l’instrumentalisation, c’est du rabâchage.

Dans la liste des organisateurs, on trouve la Ville de Paris, le Conseil de l’Europe, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), le Congrès juif européen — branche du Congrès juif mondial — et surtout, l’organisation Combat Antisemitism Movement (CAM), dont les représentant·e·s interviennent à plusieurs moments de la journée. Fondé en 2019 aux États-Unis, l’organisation a fait de la répression des mouvements étudiants sur les campus une de ses priorités. En France, le CAM a pour partenaire la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), qui s’est récemment illustrée en demandant au ministre de l’enseignement supérieur d’annuler un colloque au Collège de France sur la Palestine et l’Europe. L’organisation UN Watch est leur partenaire suisse, notamment connue pour cibler les rapporteurs spéciaux des Nations unies pour les Territoires occupés et les accuser d’antisémitisme. Une quinzaine d’organisations israéliennes sont également partenaires du CAM, dont NGO Monitor. Et surtout, le ministère israélien de la diaspora, qui avait déjà organisé le colloque sur l’antisémitisme à Jérusalem, en mars 2025, en y conviant toute l’extrême droite mondiale.

Shannon Seban fait partie de la fine équipe du CAM, aux côtés d’André Azoulay, ancien conseiller du roi du Maroc. Directrice d’affaires publiques Europe chez le groupe Altice France — propriété de Patrick Drahi, tout comme Altice USA qui détient la chaîne pro-israélienne i24News —, elle est présente à la fois comme directrice des affaires européennes du CAM et comme élue (Renaissance) au conseil municipal de Rosny-sous-Bois (Île-de-France). Dans son allocution de bienvenue — prononcée en anglais, la République appréciera —, elle évoque l’horizon des municipales, la « valeur française de la laïcité » et les Français juifs qui, comme elle, se trouveraient ciblés à la fois par l’extrême gauche et l’extrême droite — dit celle qui passait la veille sur CNews.

Ne pas « importer le conflit »… tout en ne parlant que de cela

Sans surprise, tout le sommet est placé sous le signe du 7 octobre 2023. La maîtresse de cérémonie, Natalie Sanandaji, est responsable des affaires publiques du CAM et « survivante du Festival Nova », comme le stipule sa biographie. Elle ne manque pas de qualifier le 7 octobre d’« un des jours les plus meurtriers pour les juifs depuis l’Holocauste ». L’idée de ne pas « importer le conflit », selon l’expression consacrée, ne vaut visiblement que lorsqu’il s’agit de parler des Palestiniens. Raphaël Enthoven, participant à la deuxième table ronde de la journée, affirme d’ailleurs sans sourciller : « Il ne s’agit pas d’importer le conflit. » Il avait auparavant pris le temps d’expliquer comment les soutiens de la Palestine « minoraient les crimes du Hamas », et « majoraient ce que fait Israël », en prétendant qu’il y a génocide, apartheid et famine — autant de réalités inexistantes pour le polémiste.

Le président du CRIF, Yonathan Arfi, prend la parole après le mot d’ouverture de la maire de Paris pour récuser à son tour « l’instrumentalisation du conflit entre Israël et le Hamas », tout en expliquant que l’antisémitisme « se cache derrière des discours islamistes, des discours complotistes, des discours antisionistes ». Même son de cloche chez Moshe Kantor, président du Congrès juif européen, et surtout chez l’Allemande Katharina Von Schnurbein, qui occupe depuis 2015 le poste de coordinatrice de la lutte contre l’antisémitisme à la Commission européenne : « L’antisémitisme peut se cacher derrière l’antisionisme. » Joël Kotek, professeur de sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles (ULB), assis aux côtés d’Enthoven, en remet une couche : « Le 7 octobre a réactivé le cliché du juif tueur d’enfants. » Rappeler que plus de 19 000 enfants ont été tués à Gaza par l’armée israélienne depuis le 8 octobre 2023 revient-il donc à être antisémite ?

Le gouvernement contre le droit international

Sur cette équivalence entre antisionisme et antisémitisme, qui constitue un des moteurs essentiels du discours sur le « nouvel antisémitisme », Anne Hidalgo se présente comme un modèle. Dans son allocution d’ouverture du sommet, l’édile de Paris exprime le souhait que tous les maires présents adoptent, à l’image de la Ville de Paris, la définition de l’antisémitisme promue par l’IHRA (l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste), également adoptée par Israël. Celle-ci permet notamment « de qualifier d’antisémites les attaques antisionistes motivées par une haine des juifs », selon les termes de la proposition de résolution de Sylvain Maillard (Renaissance) qui voulait la faire adopter au niveau national en 2019.

Car le sommet sert aussi à échanger les expériences : Martine Dieschburg-Nickels, vice-présidente du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux (Conseil de l’Europe), met en avant les efforts de son pays, le Luxembourg, qui a adopté en septembre 2023 le PANAS, le Plan d’action national de lutte contre l’antisémitisme. Les auteurs de celui-ci se félicitent que « le gouvernement a fait sienne la définition juridiquement non contraignante de l’antisémitisme élaborée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste ». On retrouve également dans le document de présentation les deux chevaux de bataille défendus durant le sommet des maires et portés en France, au niveau gouvernemental, par Aurore Bergé et la Dilcrah (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT) : le renforcement de l’arsenal juridique, et le ciblage des établissements scolaires et universitaires.

Durant la première table ronde de la journée intitulée « Des stratégies nationales à l’action locale », Mathias Ott, à la tête de la Dilcrah, compte « deux armes pour lutter contre l’antisémitisme dans notre pays : la loi, et l’éducation ». Il salue la nouvelle circulaire pénale du garde des Sceaux, en date du 22 octobre 2025, relative au traitement judiciaire des propos antisémites, antisionistes et des discours de haine au sein des établissements d’enseignement supérieur. Gérald Darmanin y souligne la nécessité de répondre aux propos antisémites « ou appelant à la négation ou à la destruction de l’État d’Israël ». « C’est fondamental quand on sait qu’aujourd’hui, le principal carburant de l’antisémitisme dans notre pays, c’est l’antisionisme », insiste à son tour Mathias Ott. Lorsque scander un slogan comme « From the river to the sea, Palestine will be free » (Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre) ou afficher la carte de la Palestine historique en appelant à la décolonisation sont interprétés comme des actes et des discours appelant à la destruction d’Israël — et donc antisémites —, on imagine l’impact d’une telle circulaire. Tissant sur le modèle étatsunien, le ministère de la justice cible principalement les étudiant·e·s : « La gravité de ces propos est renforcée lorsque ceux-ci sont tenus dans l’enceinte d’établissements d’enseignement supérieur, notamment à l’occasion de rassemblements publics (rencontres universitaires, conférences…) ».

Insistant sur l’importance de la formation et de la sensibilisation, le délégué ministériel affirme : « Il faut être bien outillé quand des jeunes viennent vous parler — et je mets évidemment des guillemets — du « génocide à Gaza », et expliquer ce que veut dire un génocide. » Le déni du droit international doit ainsi être transmis aux jeunes générations.

L’antisémitisme, les Frères et le « racisme objectif »

Les propos publiés sur les réseaux sociaux sont notamment ciblés par cette volonté de renforcer la réponse pénale, comme le montre la table ronde intitulée « Sécurité, application de la loi et menaces numériques. Protéger les communautés juives aujourd’hui ». L’ombre du livre de Nora Bussigny sur les « nouveaux antisémites », qui utiliseraient ces moyens pour propager leur haine, plane sur le sommet. Or ces derniers, comme on le sait, se trouvent principalement chez la gauche et parmi les « islamistes », c’est-à-dire les musulmans.