lundi 4 août 2025

La Riviera de Gaza

 


La société israélienne acclame le massacre de Gaza et considère le génocide non pas comme un crime, mais comme l'accomplissement d'un fantasme utopique.


Les Israéliens ne voient pas d’un mauvais œil les images des cadavres squelettiques d’enfants palestiniens qu’ils ont affamés à mort. Ils ne considèrent pas non plus comme un crime de guerre le massacre de familles abattues sur des sites d’aide humanitaire, conçus non pas pour distribuer de l’aide, mais pour attirer les Palestiniens affamés dans un immense camp de concentration au sud de Gaza, en vue de leur expulsion. Ils ne ne sont pas choqués par les bombardements et tirs d’artillerie aléatoires qui fauchent ou blessent des dizaines de civils palestiniens, et tuent en moyenne 28 enfants par jour. Pour eux, rien de barbare dans la destruction méthodique de Gaza, pulvérisée par les bombes et rasée par les bulldozers et les excavatrices, qui a privé pratiquement toute la population de tout abri. Ils se moquent de la destruction des usines de purification de l’eau, la liquidation des hôpitaux et des cliniques, où le personnel médical est souvent dans l’incapacité d’agir, affaibli lui-même par la malnutrition. Ils continuent d’ignorer les meurtres de médecins et de journalistes, dont 232 ont été assassinés pour avoir tenté de documenter l’horreur.

Les Israéliens ont perdu toute lucidité, tant sur le plan moral qu’intellectuel. Ils perçoivent le génocide par le prisme d’une classe médiatique et politique en faillite qui ne leur dit que ce qu’ils veulent entendre et ne leur montre que ce qu’ils veulent voir. Ils s’enivrent de la puissance de leurs armes industrielles et de leur permis de tuer en toute impunité. Ils baignent dans l’adulation et la croyance absurde d’être à l’avant-garde de la civilisation. Ils pensent que l’extermination d’un peuple, y compris d’enfants, accusés d’être des parasites, va rendre le monde, et surtout le leur, plus heureux et plus sûr.

Ils sont les héritiers de Pol Pot, des tueurs qui ont perpétré des génocides au Timor oriental, au Rwanda et en Bosnie, et oui, des nazis. Israël, comme tous les États génocidaires — aucune population depuis la Seconde Guerre mondiale n’a été dépossédée et affamée aussi rapidement et avec une telle cruauté —, adopte une solution finale dont Adolf Eichmann aurait été fier.

La famine a toujours été la dernière étape planifiée du génocide. Dès ses débuts, Israël a méthodiquement détruit les infrastructures alimentaires, bombardant les boulangeries et bloquant les livraisons des denrées de première nécessité à Gaza. Depuis mars, il a encore accentué cette politique en coupant quasiment tous les approvisionnements de vivres. Il a attaquél’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), dont dépendaient la plupart des Palestiniens pour se nourrir, en l’accusant, sans la moindre preuve, d’être impliqué dans les attentats du 7 octobre. Cette accusation a servi de prétexte aux bailleurs de fonds, comme les États-Unis qui ont accordé 422 millions de dollars à l’agence en 2023, pour cesser leur soutien financier. Israël a ensuite interdit toute activité à l’UNRWA.

Selon le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, plus de 1 000 Palestiniens ont été tués par des soldats israéliens et des mercenaires américains pendant les bousculades chaotiques autour des rares colis alimentaires distribués lors des rares ouvertures des quatre sites d’aide gérés par la Gaza Humanitarian Foundation, soutenue par Israël.

Après 21 mois de bombardements intensifs qui ont fait de Gaza une zone lunaire, et alors que les Palestiniens sont contraints de vivre dans des tentes, ou sous des bâches rudimentaires, ou dans la rue, que l’eau potable, la nourriture et l’aide médicale sont devenues pratiquement introuvables, et que la société civile a été anéantie, Israël a lancé sa macabre campagne pour affamer les Palestiniens et les chasser de Gaza.

Une personne sur trois à Gaza passe plusieurs jours sans manger, selon l’ONU.


Muhammad Zakariya Ayyoub al-Matouq, un enfant de 1 an et demi vivant dans la ville de Gaza, dans la bande de Gaza, est confronté à une malnutrition qui met sa vie en danger alors que la situation humanitaire s’aggrave en raison des attaques et du blocus israéliens, le 21 juillet 2025. Ayant perdu 9 kilos, il lutte pour survivre dans une tente à Gaza, sans lait, nourriture et autres produits de première nécessité. (Photo par Ahmed Jihad Ibrahim Al-arini/Anadolu via Getty Images)


La famine n’est pas exactement un spectacle plaisant. J’ai couvert la famine au Soudan en 1988, qui a coûté la vie à quelque 250 000 personnes. J’ai des lésions pulmonaires, héritage de mon contact avec des centaines de Soudanais atteints de tuberculose. J’étais en bonne santé et assez fort pour combattre l’infection. Mais eux, faibles et émaciés, n’y sont pas parvenus.

J’ai vu des centaines de silhouettes squelettiques, des fantômes humains, cheminer péniblement dans le paysage désertique du Soudan. Les hyènes, habituées à se nourrir de chair humaine, s’attaquaient régulièrement aux petits enfants. Au milieu d’amas d’os blanchis, à la lisière des villages, j’ai vu des dizaines de rescapés, trop faibles pour continuer à marcher, s’allonger en groupe et ne plus se relever. Ces squelettes étaient souvent ceux de familles entières.

Le manque de calories est fatal pour les populations affamées. Pour survivre, elles mangent n’importe quoi : aliments pour animaux, herbe, feuilles, insectes, rongeurs, voire de la terre. Elles souffrent de diarrhées constantes. Elles ont également du mal à respirer en raison d’infections respiratoires. Elles réduisent en minuscules morceaux les aliments souvent avariés récupérés et les rationnent dans une vaine tentative de calmer les douleurs lancinantes de la faim.

La famine réduit le taux de fer nécessaire à la production d’hémoglobine, une protéine présente dans les globules rouges qui transporte l’oxygène des poumons vers le reste du corps, ainsi que de myoglobine, la protéine assurant aux muscles l’apport en oxygène. Cette carence, associée à d’autres déficits, notamment en vitamine B1, affecte le fonctionnement du cœur et du cerveau. L’anémie s’installe. Le corps se met à s’auto-dévorer. Les tissus et les muscles se dégradent. La régulation de la température corporelle n’est plus assurée. Les reins ne répondent plus. Le système immunitaire vacille. Les organes vitaux s’atrophient. La circulation sanguine ralentit. Le volume sanguin se réduit. Des maladies infectieuses telles que la typhoïde, la tuberculose et le choléra se propagent alors, tuant des milliers de personnes.

Toute concentration devient impossible. Les victimes émaciées sombrent dans le repli sur soi et une apathie mentale et émotionnelle. Elles ne veulent plus être touchées ni déplacées. Le muscle cardiaque s’affaiblit. Même au repos, elles sont dans un état de quasi-insuffisance cardiaque. Les blessures ne guérissent pas. La cataracte altère la vision, même chez les jeunes. Finalement, le cœur s’arrête, terrassé par les convulsions et les hallucinations. Ce processus peut durer jusqu’à 40 jours chez un adulte. Les enfants, les personnes âgées et les malades meurent les premiers. Tel est l’avenir qu’Israël réserve aux deux millions d’habitants de Gaza.


Des Palestiniens affluent pour récupérer un repas chaud dans une cuisine communautaire du quartier d’Al-Mawasi, à Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, le 22 juillet 2025. (Photo : -/AFP via Getty Images)


Les Israéliens, eux, se projettent dans un tout autre avenir. Ils entrevoient le paradis. Ils imaginent un État juif ethno-nationaliste où les Palestiniens, dont ils ont volé et occupé la terre, dont ils ont asservi le peuple et l’ont réduit à vivre sous un régime d’apartheid, auraient disparu. Ils rêvent de cafés et d’hôtels construits sur les décombres recouvrant les corps de milliers, voire de dizaines de milliers de Palestiniens. Ils visualisent des touristes se prélassant sur le front de mer de Gaza, vision confortée par une vidéo générée par intelligence artificielle et mise en ligne sur les réseaux sociaux par Gila Gamliel, la ministre israélienne de l’Innovation, des Sciences et de la Technologie. Voilà à quoi ressemblerait Gaza sans Palestiniens, faisant écho à la vidéo absurde générée par l’IA postée par Donald Trump.



Cette nouvelle vidéo met en scène des Israéliens insouciants dégustant un repas dans un restaurant en bord de mer. Des yachts de luxe sont amarrés sur une mer Méditerranée scintillante. Des hôtels et des buildings rutilants, dont une Trump Tower, fleurissent sur le front de mer. De beaux quartiers résidentiels s’élèvent là où l’on ne voit aujourd’hui que des monceaux de béton brisé et déchiqueté. On y voit également Benjamin Netanyahou et son épouse Sara, ainsi que Donald et Melania Trump, déambuler le long du front de mer.

Gamliel, tout comme d’autres dirigeants israéliens et Trump, use cyniquement du terme “émigration volontaire” pour décrire le nettoyage ethnique de Gaza. Il occulte le choix cornélien réellement imposé aux Palestiniens : partir ou mourir.

Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, a appelé à une “annexion pour raisons de sécurité” du nord de la bande de Gaza, en promettant de faire de Gaza “une terre indissociable de l’État d’Israël”.

Il a proféré ces propos lors d’une conférence à la Knesset intitulée “La Riviera de Gaza — du rêve à la réalité”, qui présentait des projets de création de colonies juives à Gaza. Il a déclaré qu’Israël “relocaliserait les Gazaouis dans des pays tiers” et que Donald Trump serait favorable à ce plan.

Amichai Eliyahu, le ministre israélien du Patrimoine, qui a déjà proposé de larguer une bombe nucléaire sur Gaza, a déclaré que

“Gaza toute entière reviendrait aux Juifs”. Selon lui, le gouvernement israélien “fait tout pour que Gaza soit rayée de la carte”. Il a qualifié les Palestiniens de nazis. “Dieu merci, nous sommes en train d’éradiquer ce fléau. Il faut éradiquer cette population nourrie d’idéologie nazie par Mein Kampf”.

Les génocidaires fantasment sur l’éradication d’une population autochtone et l’expansion de leur État ethno-nationaliste. Les nazis ont mené une offensive génocidaire incluant la famine de masse contre les Slaves, les Juifs d’Europe de l’Est et d’autres peuples autochtones, qualifiés d’“Untermenschen”, c’est-à-dire de sous-hommes. Les colons devaient ensuite être envoyés en Europe centrale et orientale afin de germaniser le territoire occupé.

Ces tueurs ne mesurent pas l’ampleur des crimes qu’ils commettent. Les propriétés de luxe en bord de mer dont rêve Israël ne verront jamais le jour, pas plus que la capitale moderne exclusivement serbe avec sa cathédrale au dôme doré, son imposant palais présidentiel, sa tour horloge de 15 étages, son centre médical ultramoderne et son théâtre national doté d’une scène tournante de 22 mètres, qui n’a finalement jamais été construite sur les ruines de la Bosnie.

On y verra plutôt des immeubles hideux peuplés de colons juifs, de racistes, de proto-fascistes et médiocres en tout genre. Ces ultranationalistes, organisés en milices paramilitaires pour s’emparer des terres palestiniennes, ont rejoint l’armée israélienne et ont assassiner plus de 1 000 Palestiniens en Cisjordanie depuis le 7 octobre. Ce sont eux qui incarneront Israël. Ils sont l’équivalent israélien des 3 millions de membres de la Pancasila Youth, l’organisation indonésienne d’extrême droite, qui, en 1965, est responsable d’un génocide qui a fait entre 500 000 et 1 million de morts.

Ces milices rebelles, équipées d’armes automatiques fournies par le gouvernement israélien, ont lynché Saifullah Musallet, un Palestino-Américain de 20 ans qui tentait de protéger les terres de sa famille, il y a deux semaines. Il est le cinquième citoyen américain tué en Cisjordanie depuis le 7 octobre.

Et quand les Palestiniens ne seront plus qu’un lointain souvenir, ces voyous et ces brutes israéliens se retourneront les uns contre les autres.

Le génocide à Gaza signe l’abolition de l’État de droit, tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens. Il sonne le glas du dernier semblant de code éthique. Les Israéliens ne sont plus que les barbares qu’ils prétendent condamner. S’il y a une quelconque justice pervertie dans ce génocide, c’est que les Israéliens, une fois qu’ils en auront fini avec les Palestiniens, seront contraints de vivre ensemble dans un délabrement moral absolu.

Chris Hedges

Article original en anglais : The Gaza Riviera, The Chris Hedges Report.

Traduit par Spirit of Free Speech. Relayé par :