Famine ou génocide ?
Après avoir parlé pendant vingt-deux mois de « la guerre à Gaza » comme s’il s’agissait de deux armées qui s’affrontaient à armes égales, les médias et les politiciens occidentaux, confrontés aux images venues de Gaza, commencent à parler de famine, tout en refusant obstinément d’employer le mot génocide.
Famine sonne comme une catastrophe naturelle, un fléau tombé du ciel. Une tragédie que l’on peut pleurer sans se compromettre. Une souffrance que l’on peut secourir sans interroger ses causes.
Famine, c’est la neutralité confortable, l’émotion autorisée, l’indignation stérile. Cela permet d’expédier quelques sacs de riz, de signer quelques chèques, sans nommer les responsables. Cela permet de maintenir l’image d’un monde « civilisé » qui compatit, sans jamais dire qui tue.
Pourtant, ce qui se passe à Gaza réclame un autre mot. Un mot que l’ordre occidental redoute : génocide.
Car le mot génocide est une accusation. Il décrit une volonté d’anéantir. Il oblige à nommer les responsables, à dévoiler les alliances, à dénoncer les complices. Il détruit les faux-semblants diplomatiques, il rend indéfendable l’indéfendable.
Dire génocide, c’est faire tomber les masques. C’est révéler que l’aide humanitaire n’est souvent qu’un baume posé sur les plaies ouvertes par les bombes livrées la veille. Que la « communauté internationale » n’est qu’un cartel de silence organisé. Que les institutions n’ont pas failli : elles ont obéi.
C’est pourquoi le mot génocide reste tabou. Parce qu’il force à cesser de jouer les arbitres entre bourreau et victime. Parce qu’il impose une prise de parti. Et dans ce monde façonné par les puissances coloniales, prendre parti pour les peuples écrasés, c’est menacer l’ordre établi.
Famine préserve le pouvoir. Génocide l’accuse.
Famine autorise la pitié. Génocide réclame la justice.
Famine appelle l’oubli. Génocide exige la mémoire.
L’histoire jugera ceux qui, par lâcheté ou par intérêt, auront maquillé un anéantissement en simple manque de nourriture.
Par Abbas Fahdel, réalisateur de "Homeland : Irak année zéro", via Patrick Champagnac.