par Hervé Ryssen
Cette station de vacances avait été construite pour le marché du tourisme israélien. Le complexe touristique, ouvert au cours de l’année 2001, était entièrement kasher et disposait de sa propre synagogue. Il eut tout de suite beaucoup de succès, et bientôt, 250 Israéliens atterrirent chaque semaine à l’aéroport de Mombassa. L’affaire fonctionnait à merveille pour les patrons ; mais au sein du petit personnel recruté sur place, l’enthousiasme était rapidement retombé. Ecoutez-ça :
« Akol kalul », disaient-ils : « tout compris ». C’était la philosophie de l’établissement. Tous les services d’hôtellerie étaient inclus dans la formule-vacances achetée là-bas, en Israël. Rapidement les employés apprirent ce que ces mots voulaient dire pour des Israéliens.
« Toute la journée j’entendais les clients s’écrier “akol kalul”, raconte Saline Achling. Certains me tenaient par le bras et me criaient “Akol Kalul”. Même à la plage ils criaient aux passants “Akol Kalul, Akol Kalul”. Je leur demandai alors ce que “akol kalul” voulait dire. Ils répondaient « tout, même toi ». Il fallait que je leur dise que je n’étais pas la propriété de Sulami. Il possède l’hôtel mais pas moi. Et je pensais intérieurement, “Mon, Dieu, se comportent-ils de cette façon dans leur propre pays ?” »
Naturellement, pas un seul des clients n’oublia son droit à être massé : « La première chose que les hommes faisaient dès leur arrivée, avant même d’avoir déballé leurs bagages dans leurs chambres, c’était de courir à la salle de massage. Ils entraient dans l’hôtel les yeux grands ouverts en demandant, “où est le salon de massage ?” J’avais pris l’habitude de planifier son accès à la journée, car il y avait une compétition entre eux pour être là-bas les premiers. »
Dorothy Maly, la danseuse, était aussi employée au salon de massage : « Mon rôle était de leur dire à leur arrivée : “Je suis Dorothy et je suis masseuse à l’hôtel”. Dès que j’avais prononcé ces mots ils se mettaient à crier “massage ! massage !” La plupart d’entre eux ne parlait pas l’anglais. Ils disaient juste “I come now”. [“J’arrive”]. Un touriste d’un autre pays aurait attendu deux semaines, mais au Paradise, ils réclamaient ce service immédiatement, parfois avant même le petit déjeuner. Ils disaient : “Je viens pour un massage akol kalul. Je veux harpaya” [éjaculation]. Je demandais alors ce que ce “harpaya” voulait dire, et ils répondaient : “pas seulement harpaya, mais on veut “tout-inclus”, “full sex”, “un rapport sexuel complet.” Je leur disais qu’on n’avait pas l’habitude de faire ça et alors ils répondaient, “lis bien sur mes lèvres, “les femmes sont tout-inclus”, le vendeur à Tel Aviv nous a promis que c’est akol kalul !” Parfois, une des managers féminins nous suggérait de céder aux caprices des clients. »
Katherine Kaha, une autre masseuse, se confie : « Je commençais un massage, et alors l’homme me disait, “fais-le partout, tu dois le faire”. Au cas où je ne le faisais pas ils se seraient plaints à la direction. Je n’aimais pas ça du tout mais je l’ai fait. Ils me donnaient un dollar, des fois deux… Je me sentais sale. »
Un client israélien régulier a pu lui aussi livrer son témoignage : « Il y avait toujours ce problème avec le massage, les Israéliens prenaient l’habitude d’abuser des filles à l’extrême limite. C’était affligeant. Il y avait certains groupes qui me faisaient honte, et que j’évitais. Ils étaient si arrogants… Ils faisaient tout ce dont ils avaient envie, tout ce qui leur passait par la tête. »
Rahima raconte : « Un des Israéliens m’a dit une fois : “Tu sais Rahima, la nuit dernière ils m’ont fourni une petite chérie de treize ans seulement ; je l’ai baisée et lui ai donné juste 5 dollars parce qu’elle était sans argent.” Alors je lui est demandé : “Quel est l’âge de ta petite fille ?” Il n’a pas répondu. »
Et Rahima dit encore : « Ici, en Afrique, il n’est pas si courant, après avoir couché avec une femme, d’en informer le monde entier. Mais les Israéliens étaient très ouverts pour cela, et avaient l’habitude de dire à propos de nous : “Mechona Tova, Mechona Tova” (bonne machine, bonne machine). Le pire était le lendemain matin quand ils faisaient partager à la salle de restaurant entière les détails de leurs affaires de la nuit. Ils péroraient à table, avec des trucs comme : “Ah ! je l’ai baisée et baisée et baisée toute la nuit et pour moins d’un dollar”. On comprenait parfaitement ce qu’ils étaient en train de dire.
Quand le premier groupe est arrivé, je me suis dit que sûrement le deuxième groupe serait meilleur. Mais non, c’était exactement pareil. De temps en temps, ils demandaient un service de chambre, et quand la femme de chambre se présentait, ils essayaient de la prendre de force. Les serveuses étaient horrifiées et ne voulaient plus aller porter la nourriture dans les chambres. Avec moi c’était différent, parce que j’étais de fer avec eux. Alors ils m’appelaient “gros cul”. Pour moi, cela vaut mieux d’être une “gros cul” que d’être une esclave sexuelle.
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Tout cela fait dire à Karen Tiglo, une femme de chambre : « On n’arrivait pas à se décider si les Israéliens étaient des bêtes ou des êtres humains. »
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Une fois par semaine, quand les groupes d’Israéliens faisaient leurs préparatifs de départ et montaient dans les cars pour rejoindre l’aéroport de Mombassa, le chef d’équipe des animations s’excitait : « Préparez-vous, les clients s’en vont » criait-il fébrilement. Toutes les femmes avaient l’ordre de se rendre à l’entrée du domaine et de poursuivre les cars en pleurant. Il leur fallait frapper sur les tôles avec des larmes dans les yeux et répéter : « Ne nous quittez pas ! Nous vous aimons ! S’il vous plaît, revenez ! » Ces manifestations d’amour faisaient partie de la formule touristique et devaient laisser aux Israéliens une dernière impression de vacances inoubliables.
« Si vous ne pleuriez pas vous pouviez perdre votre emploi, dit Rahima. On nous demandait de penser à quelque chose de vraiment triste qui nous était arrivé, pour qu’on pleure pour de vrai. Mais moi, je ne pleurais pas. » Catherine Khaa confesse à son tour : « Je ne pleurais pas. Comment aurais-je pu ? Je ne les aimais pas du tout. En fait, je les haïssais. »
« C’était une consigne bizarre, » sourie Saline Achling, la masseuse en chef. On nous demandait de poursuivre les bus, de chanter et de pleurer pour que les clients sachent que nous les aimions et que nous voulions qu’ils reviennent. Je me revois courant dans un état frénétique, en train de frapper le car avec mes poings et de crier : “Pourquoi vous nous abandonnez ?”, “vous nous manquez !”, “nous vous aimons !” Les Israéliens nous regardaient derrière les vitres. Quelques-uns nous filmaient. »
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Le 22 novembre 2002, l’hôtel Paradise Mombassa fut attaqué par un groupe terroriste proche du groupe islamiste Al Qaïda. http://herveryssen-leslivres.hautetfort.com