jeudi 19 décembre 2024

Une plainte a été déposée contre un soldat franco-israélien




Une plainte a été déposée contre un soldat franco-israélien pour torture, crime de guerre, crime contre l'humanité et génocide, à l'encontre de civils à Gaza.

La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et ses organisations membres palestiniennes et françaises Al-Haq, Al Mezan, Palestinian Centre for Human Rights (PCHR) et la Ligue des droits de l’homme (LDH) ont déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du Pôle crimes contre l’humanité du Tribunal judiciaire de Paris à l’encontre de Yoel O., soldat franco-israélien qui a servi à Gaza dans le cadre de la campagne génocidaire menée par Israël contre les Palestinien.nes. Ce dernier est accusé de crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide, torture et complicité de ces crimes commis contre des Palestinien.nes détenus en Israël.

L'entretien avec l'avocate Clémence Bectarte :

Sarra Grira, journaliste, rédactrice en chef d’Orient XXI : 
Quelle est la signification de cette plainte ?

Clémence Bectarte, avocate de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), Al Haq, Al Mezan et le Palestinian Center for Human Rights
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Il faut souligner que c’est une plainte portée par des organisations palestiniennes. Celles-ci ont concentré leur travail depuis des années devant la Cour pénale internationale (CPI) en alimentant le bureau du procureur, bien avant, d’ailleurs, le 7 octobre 2023, sur tous les crimes liés à la colonisation israélienne, à l’apartheid et à de précédentes opérations militaires de l’armée israélienne sur Gaza. Cela a contribué à l’ouverture d’une enquête et à l’émission de deux mandats d’arrêt le 21 novembre 2024.

Mais les crimes commis sont d’une telle ampleur que la CPI seule ne suffira pas. Il n’y a bien évidemment aucune action possible devant la justice israélienne. Ce refus a été documenté à de nombreuses reprises et toutes les tentatives qui ont été faites par des victimes palestiniennes pour obtenir justice se sont heurtées à une impunité totale en Israël. L’activation de la justice qu’on appelle extraterritoriale, représente donc un levier essentiel. C’est d’abord une manière de rappeler la responsabilité de chaque État. Nous voulons aussi souligner cela à travers cette plainte, puisqu’elle concerne un Franco-Israélien. La responsabilité des autorités françaises à enquêter sur les allégations de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre qui peuvent être reprochées à un ressortissant français est d’autant plus grande. Nous savons que le nombre de soldats franco-israélien combattant dans l’armée israélienne dans cette opération militaire à Gaza est important, même si nous n’avons pas de chiffres précis.

Nous devons donc renvoyer chacun de ces États, lorsqu’ils sont compétents, à leur responsabilité. Il faut qu’ils prennent sa part à la lutte contre l’impunité et répondent à l’aspiration à la justice. C’est aussi ce message-là que nous voulons adresser à la justice et aux autorités françaises à travers le dépôt de cette plainte. Notre action s’inscrit dans un cadre plus vaste comme le souhaitent les organisations palestiniennes. Elles travaillent à saisir des justices européennes et au-delà pour, à chaque fois que cela est possible, des enquêtes soient ouvertes qui visent à qualifier les crimes, et à nommer, voire sanctionner les responsables.

S.G. — Vous avez évoqué la responsabilité de la France. Dans le projet de plainte, vous mobilisez l’avis de la Cour internationale de justice (CIJ) sur l’intention génocidaire, mais vous ne citez pas le dernier avis de la CIJ sur l’illégalité de l’occupation israélienne de Gaza, comme du reste des Territoires palestiniens occupés. Or, les soldats franco-israéliens ne participent pas seulement à des exactions, mais à une occupation illégale, selon la position officielle de la France.

C.B. – Nous verrons comment l’enquête avance. Nous avons vraiment voulu concentrer cette plainte sur la torture, la persécution en tant que crime contre l’humanité. Ce que l’on voit dans la vidéo [voir ci-dessus] que nous présentons, ce sont des exactions de l’armée israélienne, et notamment la responsabilité du soldat franco-israélien contre lequel nous déposons cette plainte. C’était vraiment important de mettre l’accent sur le crime de torture et à son recours massif et généralisé.

C’est un aspect des crimes de l’armée israélienne qui n’est pour l’instant pas couvert dans le champ des mandats d’arrêt de la CPI à l’encontre de Benyamin Nétanyahou et de Yoav Galant. Or, selon toutes les organisations qui travaillent sur le terrain, c’est un aspect important des crimes israéliens qu’il faut judiciariser, et sur lequel nous voulons déclencher des enquêtes. Les Palestiniens de Gaza sont arrêtés et torturés de la manière la plus brutale qui soit, en toute impunité. Bien sûr, nous pourrions l’élargir aux faits d’occupation, mais encore une fois, nous avons voulu — et c’est une décision réfléchie des organisations plaignantes — nous concentrer sur ces faits de torture, en présentant aussi d’autres témoignages pour montrer sa récurrence, son caractère systématique et généralisé. Des témoignages de Palestiniens de Gaza racontent auprès des organisations palestiniennes l’horreur qu’elles ont subie aux mains de l’armée israélienne au moment de leur arrestation.

S.G. — Pour revenir au cas particulier de ce soldat franco-israélien, il y avait déjà eu une plainte contre lui une première fois, mais qui n’a pas abouti. La différence cette fois, c’est qu’il y a des organisations comme la FIDH qui se constituent comme partie civile. Pourquoi c’est important ?

C.B. – Il y a deux formes de plainte que l’on peut déposer en France pour ce type de crimes : soit une plainte simple, soit une plainte avec constitution de partie civile. D’autres associations ont, sur la base de cette même vidéo, déposé une plainte simple auprès du Parquet du pôle Crimes contre l’humanité, ce qui laisse au procureur l’appréciation totale quant à la décision d’ouvrir une enquête ou non. Or, il a décidé de ne pas en ouvrir une et de classer cette plainte sans suite en septembre 2024.

C’est la raison pour laquelle nous utilisons aujourd’hui la plainte avec constitution de partie civile qui enclenche automatiquement l’ouverture d’une information judiciaire. C’est-à-dire que ce sont des juges d’instruction indépendants appartenant au pôle Crimes contre l’humanité qui vont être saisis. C’est ce même pôle qui a enquêté sur des crimes commis en Syrie, et qui enquête sur de nombreux crimes internationaux. C’est sa compétence exclusive.

C’était notre volonté : ne plus laisser cette marge d’appréciation au parquet, mais enclencher automatiquement l’ouverture d’une information judiciaire. Et dans le cadre de celle-ci, les cinq organisations plaignantes pourront se constituer partie civile et jouer pleinement leur rôle. C’est-à-dire d’abord, être entendues, apporter des éléments de preuve, faire des demandes d’actes pour que l’instruction avance, etc. Tel est notre objectif.

S.G. — Un des éléments marquants dans le dépôt de plainte, c’est le contexte de la guerre génocidaire que vous exposez au début en vous appuyant sur différents rapports qui ont été publiés jusque-là d’organisations internationales, de rapporteurs de l’ONU etc. On se dit que finalement, ce travail sert bien à quelque chose, au-delà de fournir de la matière pour les articles de presse ou pour documenter pour l’histoire la réalité de cette guerre…

C.B. – L’impossibilité pour les ONG internationales de pouvoir enquêter et recueillir ces témoignages est un obstacle majeur mis en place par les autorités israéliennes. Mais, malgré cette interdiction, nous pouvons compter sur les organisations palestiniennes qui, dans des conditions extrêmement difficiles, continuent à faire un travail essentiel de documentation. Il y a aussi un certain nombre d’agences onusiennes, la CIJ, la CPI à travers l’émission des mandats d’arrêt, et des ONG internationales qui continuent de rassembler les preuves des exactions de l’armée israélienne pour les qualifier, pour les documenter et pour qu’elles servent aussi à des procédures judiciaires.

L’enjeu n’est pas seulement de dénoncer la réalité des crimes, mais aussi de se battre contre l’impunité dont on sait qu’elle est l’une des raisons, l’une des racines de la violence de cette guerre actuelle. Il n’y a jamais eu devant aucune instance de justice, qu’elle soit israélienne, internationale ou étrangère, de processus de justice satisfaisant pour les victimes palestiniennes. Même lorsqu’il y a des décisions, et on le voit bien avec d’une part les mesures provisoires ordonnées par la CIJ, et la décision au fond rendue sur la situation d’occupation, les autorités israéliennes leur opposent un mépris total. D’où l’urgence à faire en sorte que des enquêtes indépendantes soient ouvertes et qu’elles contribuent à qualifier les crimes commis à Gaza.

La vidéo incriminée

Le 19 mars 2024, une vidéo dévoilant des faits de violence contre plusieurs prisonniers palestiniens était postée par Younis Tirawi, un journaliste palestinien indépendant, sur le réseau social X. L’auteur de la vidéo y était identifié comme étant un ressortissant franco-israélien par le journaliste.

Dans cette vidéo d’une minute, réalisée de nuit, nous voyons des soldats de l’armée israélienne faire descendre de l’arrière d’un camion un homme vêtu d’une combinaison blanche ouverte laissant apparaître son dos et son torse. Ses yeux sont bandés, ses pieds sont nus et son cou est serré par un objet ressemblant à une corde. Ses mains sont attachées derrière son dos. À peine descendu, un soldat lui fait courber le dos, baisser la tête et l’emmène. Sur le dos du prisonnier, des marques et des cicatrices laissent penser qu’il a été battu et torturé. Une hypothèse que semble confirmer l’auteur de la vidéo qui, tout au long de cette scène, commente en français :

"T’as vu ces enculés, mon neveu ? Ces fils de putain… Allez descends, fils de pute. Sur les pierres, voilà, enculé de ta mère. T’as vu ce petit fils de putain, là, regarde, il s’est pissé dessus. Regarde, je vais te montrer son dos, tu vas rigoler, regarde, ils l’ont torturé pour le faire parler. Wahou, t’as vu son dos ? Fils de putain."

Après une coupure dans la vidéo, nous voyons le prisonnier de la première scène et six autres hommes assis au sol et serrés les uns contre les autres. Ils sont tous vêtus d’une combinaison blanche, ont les yeux bandés et les mains attachées derrière le dos. L’auteur de la vidéo leur dit en français :

"Bande d’enculés ! Fermez vos gueules ! Bande de salopes… Hein, vous étiez contents le 7 octobre, hein, bande de fils de pute."

« Qui va me poursuivre mdrrr ? Je vous attends. »

Selon Younis Tirawi, l’auteur de cette vidéo serait Yoel O., un soldat franco-israélien qui serait actuellement en service et affecté à Gaza. Une capture d’écran d’une conversation Telegram de Yoel O. permet d’affirmer que cette vidéo a été réalisée en janvier 2024. Samuel O, identifié comme le neveu de Yoel O, serait la personne à l’origine de la diffusion de la vidéo dans un groupe intitulé « On arrache du Palestinien ». Tous deux seraient originaires de Lyon.

Yoel O. serait apparu dans un reportage sur une chaîne télévisée israélienne, visage couvert, afin de se prononcer sur cette affaire. Présenté comme soldat franco-israélien, il est interrogé au sujet de la vidéo et explique être menacé de poursuites. Il ajoute :

"... mais je sais que c’est des conneries, ils ont pointé du doigt mon neveu et sa famille qui vivent en France, parce que c’est facile d’appeler à la haine contre lui."

Dans une conversation à propos de cette vidéo avec le journaliste Younis Tirawi, partagée sur le réseau social X, Samuel O. déclare :

"Vous croyez quoi, vous ? Vous croyez que vous faites peur à qui ? Vous croyez que vous allez surprendre qui ? Et vous croyez que vous mettez des pressions à qui avec vos publications Twitter ? Je suis bien content qu’elle soit sortie cette vidéo. Voilà je te dis que je suis bien content et je suis très heureux. Comme ça maintenant vous savez dans le monde entier que quand nous on attrape des terroristes, on les torture. Point à la ligne."

Dans cette même conversation, Samuel O. affirme être lui-même un soldat. À Yanis Tirawi, qui évoque le risque de poursuites en France, il écrit :

"Et bah qu’ils viennent » « J’suis à Lyon venez ! » « Qui va me poursuivre mdrrr ? Je vous attend. [sic]

https://orientxxi.info/magazine/une-plainte-deposee-en-france-contre-un-soldat-franco-israelien,7854