vendredi 13 décembre 2024

DISLOCATION DES NATIONS ARABES




La dislocation du monde musulman par la guerre et le terrorisme est la concrétisation du plan Bernard Lewis élaboré entre 1975 et 1978 et du plan Oded Yinon datant de 1982. Ces deux plans, ne formant qu’un seul et même projet, visaient à subdiviser les pays musulmans, et plus particulièrement le Proche-Orient, en petits Etats ethno-confessionnels. 

L’éclatement des Etats étant la condition préalable à leur division, le plan Lewis/Yinon prévoyait d’y parvenir en provoquant des conflits intercommunautaires ; à quoi s’ajouterait la stimulation de mouvements séparatistes et la création de régions autonomes comme le Kurdistan ou le Baloutchistan.

La finalité du plan Oded Yinon est l’établissement du Grand Israël d’après les frontière bibliques : du Nil à l’Euphrate. L’expansion de l’Etat hébreu n’étant possible que par la préalable dislocation de toutes les nations environnantes et la création d’un foyer de purulence qui justifierait à terme une grande guerre de conquête territoriale sous le prétexte d’une guerre défensive et de la stabilisation de la région. 

Oded Yinon était un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères israélien ; il a rédigé en 1982 le plan pour le Moyen-Orient appelé « A Strategy for Israel in the 1980’s » (une stratégie pour Israël dans les années 1980). Après avoir dressé un état du monde musulman du Maroc à l’Afghanistan — en prenant soin pour chacun de ces pays de tracer les lignes de fractures ethnico-religieuses —, il établit les objectifs que doit se fixer Israël de la manière suivante : 

Il commence par la Palestine et écrit : « Après la Guerre de Six Jours, nous aurions pu nous préserver de tout conflit amer et dangereux si nous avions donné la Jordanie aux Palestiniens vivant à l’ouest du Jourdain. En faisant cela, nous aurions neutralisé le problème palestinien auquel nous faisons face aujourd’hui. ». 

En ce qui concerne le Sinaï, il écrit que “récupérer” la péninsule du Sinaï avec ses ressources (pétrole) est une priorité politique pour Israël qui a été obstruée par l’accord de paix de Camp David (1978). Yinon précise que l’Egypte doit procurer un prétexte à Israël pour qu’il puisse occuper une nouvelle fois le Sinaï. La présence actuelle de groupes terroristes dans le Sinaï pourrait à l’avenir offrir ce prétexte. Il décrit l’Egypte comme un cadavre et ajoute que l’objectif politique d’Israël est d’“exploiter” le “fossé” existant entre chrétiens et musulmans pour diviser l’Egypte en deux régions géographiquement distinctes. Yinon précise que l’éclatement de l’Egypte provoquerait aussi l’éclatement de la Libye et du Soudan ainsi que d’autres pays plus éloignés de l’Egypte selon une sorte d’effet domino. 

Puis, il décrit le plan pour ce qu’il appelle "Le Front de l’Est". Il explique que la dissolution du Liban en 5 Etats servira de précédent pour tout le monde arabe, incluant l’Egypte, la Syrie, l’Irak et la Péninsule arabique. Il écrit que : « La dissolution de la Syrie et de l’Irak en régions ethniques ou religieuses comme au Liban, est le premier objectif d’Israël sur le front de l’Est dans le long terme, tandis que la dissolution de la force militaire de ces Etats sert de premier objectif sur le court terme. » 

(...)

Oded Yinon écrivait au sujet de la Syrie qu’elle devra être divisée de la manière suivante : « Il y aura le long de sa côte un Etat chiite alaouite, un Etat sunnite dans la région d’Alep, un autre Etat sunnite à Damas hostile à ses voisins du nord et les druzes qui vont installer un Etat, peut-être dans notre Golan et certainement dans le Hauran et dans le nord de la Jordanie. Cette situation sera la garantie de la paix et de la sécurité dans la région sur le long terme, et cet objectif est déjà à notre portée aujourd’hui. » 

A propos de l’Irak, Yinon écrit sans ambiguïté : « L’Irak, riche en pétrole d’un côté et déchirée de l’autre, est garantie en tant que candidate comme cible d’Israël. Sa dissolution est même plus importante pour nous que celle de la Syrie. Sur le court terme c’est la puissance irakienne qui constitue la plus grande menace pour Israël. Une guerre Iran-Irak fera éclater l’Irak de l’intérieur avant même qu’il soit possible d’organiser un front large contre nous. Toute sorte de confrontation interarabe nous assistera dans le court terme et nous raccourcira le chemin pour le plus important objectif de démembrement de l’Irak comme en Syrie et au Liban. En Irak, la division en provinces ethniques et religieuses est possible comme en Syrie durant la période ottomane. » 

Pour donner un autre exemple de cette stratégie israélienne nous citerons Ze’ev Schiff, le correspondant militaire du journal israélien Haaretz — et qui était un des plus grands spécialistes en Israël dans ce domaine — qui écrivit : « Le mieux qui pourrait arriver pour les intérêts d’Israël en Irak est la dissolution de l’Irak en un Etat chiite, un Etat sunnite et la séparation de la partie kurde. » (Haaretz, le 02/06/1982). 

Le plan pour la Jordanie selon Yinon est le suivant : « La Jordanie est une cible stratégique immédiate dans le court terme mais pas pour le long terme, parce qu’elle ne constitue pas une vraie menace sur le long terme après sa dissolution, la fin du long règne du roi Hussein et le transfert de pouvoir aux Palestiniens dans le court terme. » 

Le “problème” palestinien pour Israël ne se réglera que par le transfert de la population palestinienne vers la Jordanie (et la population de Gaza vers le Sinaï), ce qui passera par la chute de la monarchie jordanienne au profit du Hamas-Frères Musulmans. C’est dans cette perspective que nous pouvons comprendre les bombardement régulier à 2 ou 3 ans d’intervalle sur la population de Gaza, le but étant de les pousser vers la Jordanie et/ou le Sinaï. Ceci apparaît clairement lorsque Yinon écrit : « Il n’y a aucune chance que la Jordanie continue d’exister dans sa présente structure sur le long terme, et la politique d’Israël, qu’elle soit en paix ou en guerre, devrait aller dans la direction de la liquidation de la Jordanie sous le présent régime et le transfert de pouvoir à la majorité palestinienne. »

Oded Yinon ajoute que la population juive doit être moins dense en Israël ; qu’est-ce que cela implique ? Premièrement, l’expulsion de la population palestinienne et deuxièmement, l’expansion du territoire israélien au-delà du Jourdain, comme l’écrit Yinon, pour pouvoir disperser la population israélienne.

Il faut préciser que le plan Oded Yinon préconisait aussi l’éclatement de l’Arabie Saoudite en sous-région tribale ; ainsi il écrivait : « La Péninsule arabique entière est candidate à la dissolution en raison de ses pressions internes et externes, et la chose est inévitable, spécialement en Arabie Saoudite. Indépendamment du fait que ses ressources pétrolières restent intactes ou diminuent dans le long terme, les fractures internes et les ruptures sont une évidence et un naturel développement à la lumière de la présente structure politique. ».

(...)

Le déclenchement de la guerre en Irak fut la première étape de ce grand redécoupage du Moyen-Orient, qui n’est, si l’on se place sur le plan historique, que la suite logique du premier découpage que la région a subi après la guerre de 1914-1918, conformément aux accords secrets Sykes-Picot datant de juin 1916, entérinant la négociation d’octobre 1915 entre McMahon et Hussein, le Chérif de la Mecque.

Le redécoupage du Moyen-Orient qui est en cours est la conséquence, non de l’influence du lobby pétrolier américain, mais de celui du lobby pro-israélien sur la politique étrangère américaine...

Jean TERRIEN.