mardi 15 juillet 2025

Bande de Gaza : plus de trente pays réunis à Bogota pour des mesures concrètes contre Israël






À l’initiative du Groupe de La Haye, un « sommet d’urgence » se tient ce 15 juillet à Bogota en Colombie pour déclarer des « mesures concrètes » et tenter de mettre fin au drame qui se déroule dans l’enclave palestinienne depuis octobre 2023. Une trentaine de pays issus de tous les continents doivent y participer.

Alors que les négociations indirectes piétinent entre Israël et le Hamas sur un cessez-le-feu dans le territoire palestinien dévasté par 21 mois de guerre, que les diplomaties occidentales demeurent plus que timorées vis-à-vis d’Israël quant au non-respect du droit international et humanitaire, le Groupe de La Haye entend porter sa voix et dépasser le cap des paroles en passant aux actes. Il organise une conférence historique à laquelle doivent participer plus de trente États issus des quatre coins du globe.

La barre des 58 000 morts a été franchie dans la bande de Gaza, en majorité des femmes et des enfants. Une dévastation qui met chaque jour un peu plus en exergue l'échec des cadres juridiques internationaux à protéger les civils. « Face à ce constat, plusieurs nations ont pensé que ce serait une bonne idée de réunir un groupe d'États pour essayer non pas de créer du nouveau droit international qui existe déjà, non pas pour exhorter, pour appeler à, pour condamner, mais pour appliquer des mesures concrètes de la part des États, c'est à dire des politiques concrètes, de façon collective et coordonnée, pour mettre fin au carnage, pour mettre fin au génocide. Quand sur des sujets précis, les États s'unissent et lèvent leurs voix, ils ont plus de poids et d’influence que lorsqu’ils sont isolés », explique Guillaume Long, conseiller diplomatique principal du Groupe de La Haye.
« Si la Palestine meurt, l’humanité meurt »

Jusqu’à présent, des actions contre l’impunité des exactions israéliennes ont été menées de manière individuelle : l’Afrique du Sud a saisi la Cour internationale de justice pour violation présumée de la Convention sur le génocide de 1948, rejointe par d’autres États, des navires chargés d’armes en direction de l’État hébreu ont été bloqués par la Namibie et la Malaisie. En mai 2024, la Colombie a rompu ses relations diplomatiques avec Tel-Aviv. Une décision prise « pour cause de gouvernement, de président génocidaire, avait alors lancé le président Gustavo Petro. On ne peut accepter le retour des époques de génocide, d’extermination d’un peuple entier devant nos yeux, devant notre passivité. Si la Palestine meurt, l’humanité meurt. On ne laissera pas mourir la Palestine, tout comme on ne laissera pas mourir l’humanité. » La Colombie qui, comme le Brésil, soutient la procédure historique intentée par Prétoria contre Israël devant la CIJ.

L’union faisant la force, selon l’adage, le 31 janvier 2025, à La Haye aux Pays-Bas, siège des principales juridictions internationales, neuf pays se mobilisent avec pour objectif de responsabiliser Israël sous le droit international. « L’esprit principal du groupe de La Haye est une réponse internationale face à la frustration que ressentent beaucoup d'individus mais aussi de diplomates avec le fait que le droit international, aujourd'hui, n'est pas appliqué, alors qu’il est plutôt fort en ce qui concerne la Palestine. Le premier “cri” du Groupe de La Haye est vraiment une défense du droit international, pointe Guillaume Long. C'était vraiment : “Voilà, nous sommes des pays très lointains [l'initiative revient à l'Afrique du Sud pour l’Afrique, la Malaisie pour l'Asie et la Colombie pour l’Amérique latine] et pourtant, nous n'acceptons pas ce génocide. Nous n'acceptons pas cette absence d'action de la part des États qui pourtant ont des obligations juridiques et qui ne les appliquent pas. Donc, cela a vraiment été la logique, tout simplement une logique de défense du multilatéralisme. »

Le Bélize, la Bolivie, la Colombie, Cuba, le Honduras, la Malaisie, la Namibie, le Sénégal et l’Afrique du Sud fondent ainsi le Groupe de La Haye. Quelques jours après, le Bélize, petit pays très dépendant des États-Unis, se retire du groupe face « aux intimidations certaines qu'il a dû recevoir », confie une source souhaitant rester anonyme au sein du Groupe de La Haye.

Dans leur déclaration conjointe, ils affirment être « guidés par les buts et principes énoncés dans la Charte des Nations unies, ainsi que par la responsabilité de toutes les nations de défendre les droits inaliénables, y compris le droit à l’autodétermination, qu’elle consacre pour tous les peuples ». Se disant « attristés de rester passifs face aux crimes internationaux » commis par Israël, ils déclarent être « déterminés à remplir [leurs] obligations pour mettre fin à l’occupation israélienne de l’État de Palestine et soutenir la réalisation du droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination, y compris le droit à un État palestinien indépendant ».

Le Groupe de La Haye s'inspire de la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud qui commence dans les années 1960-70 au niveau international. À l’époque ce sont d'abord des pays post-coloniaux subsahariens qui lancent le mouvement, ce dernier prenant ensuite de plus en plus d'ampleur dans ce qu'on appelle alors le Tiers-Monde, aujourd'hui le Sud global. La contestation pénètre au sein même du Commonwealth. En 1977 le Conseil de sécurité des Nations unies, face à cette action collective des États, accepte d'imposer un embargo sur la vente d'armes. Un acte très symbolique dans la chute du régime d’apartheid. Aujourd'hui encore, le sujet « armement » inspire beaucoup le groupe de La Haye, tout comme le thème des réactions collectives, de l'action collective du Sud global : pour avoir plus de force, notamment dans les négociations, il faut négocier de façon collective.

Un événement historique qui dépasse le Sud global

Le Groupe de La Haye entend ainsi mener une action collective par des mesures juridiques et diplomatiques coordonnées aux niveaux national et international pour faire respecter les principes de justice et de responsabilité qui fondent la Charte des Nations unies. Ils expriment dès lors leur intention, entre autres, d’empêcher la fourniture ou le transfert d’armes vers Israël, d’empêcher l’accostage de navires transportant des munitions, de soutenir les mandats d’arrêts de la CPI contre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu et l’ex-ministre de la Défense Yoav Gallant, ainsi que la résolution de l'ONU du 18 septembre 2024 (qui s’appuie sur un avis de la CIJ), approuvée par 124 États, qui exige la fin de l’occupation israélienne du territoire palestinien et le démantèlement des colonies avant le 18 septembre 2025.

Co-organisé par les gouvernements colombien et sud-africain, co-présidents du Groupe de La Haye, plus de trente États vont ainsi se réunir à Bogota pour annoncer des mesures concrètes contre Israël. Un événement historique qui dépasse le Sud global. Si aucun État arabe ni européen ne fait partie du groupe, l’Europe et le Moyen-Orient seront présents au sommet aux côtés du Chili, du Brésil, de l'Algérie, du Botswana, etc. : l’Irlande, la Slovénie, la Norvège, l’Espagne, le Portugal, le Liban, Oman, l’Irak, le Qatar, etc. La France a également été conviée mais n’a jusqu’à présent pas répondu à l’invitation. Des membres de l’ONU participeront aussi à la conférence, dont Philippe Lazzarini, chef de l’Unrwa, ainsi que la rapporteuse spéciale pour la Palestine Francesca Albanese qui est dans le viseur des États-Unis. Le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, a annoncé ce 9 juillet, que Washington va imposer des sanctions à la rapporteuse spéciale de l'ONU, mettant en cause les « efforts illégitimes et honteux (de Francesca Albanese) visant à inciter la Cour pénale internationale (CPI) à prendre des mesures contre des responsables, des entreprises et des dirigeants américains et israéliens ». Certains pays invités à la conférence de Bogota ont fini par se désister par crainte de représailles.

« On essaye de recréer à Bogota cette semaine l'esprit du Groupe de La Haye, avec une différence importante, c'est que ce n'est pas une réunion du Groupe de La Haye, insiste Guillaume Long. Dans leurs capacités de co-président, c'est l'Afrique du Sud et la Colombie qui invitent, en Colombie, un grand nombre de pays à se joindre à cette réunion d'urgence sur la Palestine, sur Gaza en particulier, pour faire la même chose : se mettre d'accord sur des mesures concrètes, urgentes. Pas pour exhorter, pas pour condamner, pas pour faire du nouveau droit international, mais pour appliquer ce qui est déjà en place. L'élément central, ce sont les mesures. Et quelles mesures les pays vont-ils prendre ? Ça va être le centre des discussions. »

« Le peuple palestinien mérite justice. L'heure est grave »

« En coupant les ponts entre nos tribunaux, nos ports et nos usines, nous pouvons remettre en question la vision de Donald Trump et Netanyahu d'un monde où “la force prime sur le droit”, estime le président colombien dans les colonnes de The Guardian. Le choix qui s'offre à nous est difficile et impitoyable. Soit, nous défendons fermement les principes juridiques qui visent à prévenir la guerre et les conflits, soit nous assistons, impuissants, à l'effondrement du système international sous le poids d'une politique de puissance incontrôlée. Soyons des acteurs ensemble, et non des suppliants isolés (...) Le peuple palestinien mérite justice. L'heure est grave. L'histoire nous jugera sévèrement si nous ne répondons pas à son appel. »

Depuis plus de 600 jours, 2,3 millions de Palestiniens survivent dans l’enclave désormais affamée et ravagée de la bande de Gaza. La Conférence internationale pour le règlement pacifique de la question palestinienne, co-présidée par la France et l'Arabie saoudite, proposée par l'ONU, a été reportée sine die. Ce 15 juillet à Bruxelles a lieu la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne durant laquelle sera discuté l’article 2 de l'accord d'association entre l'UE et Israël. Dans le même temps, à Bogota, se tiendra la conférence d’urgence pour Gaza, une opportunité unique pour sauver le droit international.


https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20250713-bande-de-gaza-plus-de-trente-pays-réunis-à-bogota-pour-des-mesures-concrètes-contre-israël-groupe-de-la-haye