Gaza, le temps d’un pont aérien humanitaire
La France peut ouvrir la voie
Cette situation n’est ni accidentelle ni inévitable. Elle est le résultat d’une politique délibérée de blocus, de destruction ciblée des infrastructures civiles, et de restrictions massives de l’aide humanitaire, mises en œuvre par l’État d’Israël, puissance occupante.
Ces actions ont conduit la Cour internationale de Justice (CIJ), dans son ordonnance du 26 janvier 2024, à reconnaître l’existence d’un risque plausible de génocide à Gaza. En mai 2024, la CIJ a renforcé ses mesures conservatoires en exigeant d’Israël qu’il suspende immédiatement toute opération militaire à Rafah et facilite l’accès sans entrave de l’aide humanitaire. Ces avertissements sont ignorés. La famine est utilisée comme une arme. Le droit international est piétiné.
Face à cette urgence, la France a récemment annoncé, avec plusieurs partenaires internationaux, son engagement à sécuriser l’acheminement de l’aide humanitaire autorisée vers Gaza. C’est une avancée diplomatique notable, mais insuffisante au regard de l’ampleur de la catastrophe. Les voies terrestres sont verrouillées, les flux limités, les besoins gigantesques. Il faut aller plus loin. Il faut une opération logistique d’urgence à la hauteur du désastre : un pont aérien humanitaire international, soutenu politiquement et protégé techniquement.
Un pont aérien : une solution réaliste, urgente, pacifique
Une telle opération est techniquement faisable. Plusieurs États européens disposent d’avions cargo, de capacités de largage de précision et de personnel qualifié. Des plateformes logistiques peuvent être installées en Égypte, à Chypre ou en Jordanie. Des organisations humanitaires sont disponibles et capables d’agir. Des corridors aériens ont déjà été utilisés ponctuellement. Au début des bombardements, le gouvernement français avait même revendiqué le largage d’aide humanitaire à Gaza en partenariat avec la Jordanie.
Anticiper les risques d’émeutes et de chaos sur le terrain
Un pont aérien ne peut cependant se limiter à un acte logistique. L’histoire des interventions humanitaires le rappelle : en contexte de siège, la livraison massive de vivres peut aussi provoquer des tensions, des ruées, voire des émeutes, lorsque les populations sont désespérées, affamées, et sans encadrement local. L’effondrement des structures d’autorité, la désorganisation des réseaux de distribution et l’urgence vitale que rencontre la population font naître des risques de désordres graves.
C’est pourquoi une opération aérienne d’ampleur doit impérativement être accompagnée d’un dispositif de coordination humanitaire au sol, reposant sur les ONG déjà présentes, des agences de l’ONU, et, si nécessaire, une présence habilitée à encadrer les distributions. Il s’agit d’éviter que l’aide ne devienne une nouvelle source de violence, ou qu’elle soit accaparée par des groupes armés.
Le chaos humanitaire n’est pas une fatalité : c’est un risque prévisible, donc évitable. C’est aussi un argument de plus en faveur d’une opération multilatérale, concertée, juridiquement cadrée, et appuyée politiquement au plus haut niveau.
La France, une puissance en capacité d’agir
Le droit de protéger les populations civiles ne relève pas d’un choix moral : c’est une obligation juridique consacrée par la doctrine de la responsabilité de protéger. Ce principe, adopté en 2005 par les Nations unies, engage la communauté internationale à intervenir – de manière prioritairement non militaire – lorsque des crimes de masse sont en cours ou imminents.
La France est l’une des rares nations au monde à disposer de l’ensemble des moyens nécessaires pour initier et coordonner une telle opération. Sur le plan militaire, elle dispose de capacités de projection logistique autonomes, de forces de protection, de moyens de reconnaissance et d’évacuation sanitaire, éprouvés dans de nombreuses opérations extérieures. Sur le plan technologique, elle peut mobiliser des outils de surveillance, de télécommunications sécurisées et de coordination avancée, indispensables à la réussite d’un pont aérien dans un espace aussi contraint que Gaza. Enfin, sur le plan diplomatique, la France reste une puissance dotée d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, d’un réseau diplomatique mondial, et d’une tradition d’action humanitaire. Elle est donc pleinement légitime pour impulser une coalition internationale autour d’une telle initiative, sur une base strictement humanitaire, et dans le respect du droit international.
Il ne s’agirait pas d’une opération militaire au sens offensif ou coercitif du terme, mais d’une mobilisation de capacités logistiques, aériennes et de protection strictement au service de l’acheminement humanitaire.
Un pont aérien humanitaire vers Gaza ne nécessite aucune confrontation militaire avec Israël. Il ne constitue pas une intrusion armée ni une ingérence illégitime. Il représente une application du droit international face à une crise où l’inaction équivaut à une forme de complicité.
La paix commence par la protection de la vie
Les grandes catastrophes humanitaires ne se résument jamais à l’ampleur des destructions : elles se mesurent aussi au silence et à l’inaction qui les accompagnent. Gaza n’a pas besoin d’attendre un futur accord de paix pour recevoir de l’eau, des médicaments, du pain. Gaza a besoin d’un pont, aujourd’hui. Pas seulement pour survivre, mais pour qu’un jour, la paix soit encore possible.
Si la France veut continuer à peser dans le concert des nations, elle ne peut rester spectatrice. L’histoire jugera ceux qui auront agi – et ceux qui se seront tus.
Signataires :
Aurélien Saintoul et Bastien Lachaud, députés LFI