Alors que vient d’être commémorée la première année depuis les massacres perpétrés par le Hamas gazaoui en Israël et la réplique ultraviolente du gouvernement de Benyamin Netanyahou, il livre à Jeune Afrique une vision sans concessions de cette crise, de l’état du monde et de celui de la démocratie en Afrique.
Jeune Afrique : Quelle estimation faites-vous de la situation humanitaire à Gaza ?
Rony Brauman :
Elle se dégrade un peu plus chaque jour, au rythme des déplacements forcés des populations, des bombardements généralisés des zones habitées, de l’anéantissement de cette société palestinienne de Gaza. On a beaucoup parlé de la destruction totale du système sanitaire, à juste titre, car il est essentiel, surtout dans une telle situation ; mais on n’a pas assez souligné que c’est tout ce qui fait une société qui est pilonné : cimetières, universités, écoles, archives, état civil… habitations, bien sûr. Une politique de terreur et d’anéantissement chaque jour plus profonds et étendus, Benyamin Netanyahou promettant maintenant un sort similaire aux Libanais s’ils ne livrent pas les gens du Hezbollah.
Pendant ce temps, des pogroms anti-Arabes sont encore à l’oeuvre, sous la protection de l’armée israélienne, en Cisjordanie, où des bandes de colons fascisants, de voyous, s’en prennent à des paysans, à des résidents palestiniens pour les terroriser, les chasser, détruire leurs terres et leurs cultures. Israël se conduit comme un État voyou d’une brutalité effroyable et, circonstance aggravante, il fait tout cela avec l’approbation, voire le soutien actif, des « démocraties » occidentales, qui professent un attachement essentiel au droit humanitaire et au droit international, mais qui, en invoquant méthodiquement et inlassablement le droit d’Israël à se défendre, cautionnent ces destructions. Quand elles ne les soutiennent pas, comme les États-Unis et l’Allemagne, par l’énormité des livraisons d’armes qui se poursuivent.
Vous évoquez des pogroms en Cisjordanie. D’aucuns n’hésitent pas à qualifier ce qui se passe à Gaza de génocide : qu’en est-il ?
Je constate que la Cour internationale de justice (CIJ), en ordonnant à Israël, en mai dernier, d’appliquer la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, s’est entourée de toutes les garanties d’ordre juridique pour avancer cette qualification. Cette convention est la seule disposition d’ordre juridique à mettre en avant la prévention autant que la punition : c’est dans la volonté de prévenir ce qui pourrait se transformer en génocide que la CIJ a demandé à Israël un certain nombre de provisions, de mesures pratiques montrant qu’il n’y a pas d’intention génocidaire, et même d’empêcher les moyens par lesquels ce génocide pourrait s’accomplir. Parmi ceux-ci, il y a l’assassinat des membres du groupe, la destruction des moyens d’existence, l’obstruction de l’aide humanitaire, la prévention des naissances, et il faut reconnaître que depuis janvier 2024 – plus de neuf mois –, aucune des mesures demandées n’a été prise par Israël, au contraire.
L’aide humanitaire est systématiquement obstruée, les assassinats individuels et collectifs se poursuivent, la destruction généralisée de tout ce qui permet la vie, jusqu’à la pollution des terres agricoles, qui sont, semble-t-il, attaquées avec des produits chimiques pour les stériliser, nous assistons à la destruction des moyens d’existence. Donc oui, je pense que nous sommes, en effet, aujourd’hui, face à une situation génocidaire. Pour certains, c’est inconcevable qu’un pays né des cendres d’un génocide puisse à son tour commettre un génocide.
Et moi-même, qui suis originaire de là-bas, je trouve cela absolument étourdissant et accablant, mais d’abord révoltant, car ce sont des faits qui se déroulent sous nos yeux, et dire que c’est impossible n’y change rien. Quant aux intentions israéliennes, il suffit d’écouter ce que disent nombre de dirigeants israéliens au sommet, le président de la République, les ministres de la Défense, des Finances, de la Sécurité, nombre des députés, qui vouent aux gémonies l’ensemble de la population palestinienne, dénoncée globalement comme terroriste, antisémite et tueuse de juifs, ce qui autoriserait à l’État hébreu toutes les ripostes en guise de défense.
Derrière les cris de victoire de Tel-Aviv et de ses alliés, à chaque exécution de chef ennemi, qu’est-ce qu’Israël est en train de se préparer comme avenir à long terme ?
Israël sème la haine à Gaza, en Cisjordanie, au Liban. Chaque fois qu’il prétend tuer des combattants du Hamas ou du Hezbollah, il fabrique de futurs combattants pour ces mouvements, qui seront certainement plus radicaux que ceux d’aujourd’hui. Au fil des générations, Israël ne cesse de « décapiter les mouvements terroristes », de démanteler leurs infrastructures, et chaque fois, ses batailles sont remportées.
De fait, l’armée israélienne a considérablement affaibli le Hamas et le Hezbollah, mais les projets de résistance à l’occupation israélienne et les idéologies qui les soutiennent n’ont jamais été tuées par les bombes. Elles continueront de prospérer à la mesure de la violence déployée par les Israéliens. Nous sommes ainsi face à une spirale de radicalisation qui nous pousse vers l’abîme, et l’on voit bien que si Israël gagne toutes ses batailles, il ne pourra pas remporter sa guerre contre les Palestiniens. C’est une stratégie suicidaire. D’ailleurs, de plus en plus d’Israéliens quittent le pays car il n’y a pas d’avenir pour leurs enfants, dans le contexte actuel.
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