lundi 25 novembre 2024

La Bible et l’Empire

 







À l’évidence, les stratèges du Likoud et leurs alliés néo-conservateurs ont l’intention de léguer en héritage à l’humanité une guerre mondiale d’anéantissement contre la civilisation musulmane.

Le résultat espéré est un État juif régnant sur un Moyen-Orient morcelé, émasculé de toute identité et ambition nationales – et, à plus forte raison, panarabiques. Comment expliquer une telle hubris ? 

Une explication peut être puisée dans la nature même de l’État d’Israël et le rôle dirigeant qu’y a toujours tenu son appareil militaire, équivalent du National Security State états-unien. David Ben Gourion, qui cumulait les fonctions de Premier ministre et de ministre de la Défense, l’avait voulu ainsi, car il savait que le destin d’Israël reposait prioritairement sur sa capacité d’écraser la résistance arabe : « Pourquoi les Arabes feraient-ils la paix ? Si j’étais un chef arabe, je ne passerais jamais d’accord avec Israël. C’est naturel : […] nous sommes venus ici et leur avons volé leur pays. Pourquoi accepteraient-ils cela ? Ils oublieront peut-être dans une ou deux générations, mais pour le moment il n’en est pas question. C’est donc simple : nous devons rester forts et maintenir une armée puissante. Toute notre politique est là. Sinon, les Arabes nous feront disparaître. » 

Par la force des choses, Israël est depuis toujours un état sécuritaire. C’est aussi un État colonisateur et expansionniste, dont les ruses diplomatiques ne peuvent plus aujourd’hui masquer l’objectif qui n’a cessé de motiver ses dirigeants. Le plan de partition de la Palestine, estimait Ben Gourion en 1948, « ne nous oblige pas à renoncer à la Transjordanie ; on ne peut exiger de quiconque qu’il renonce à sa vision. Nous acceptons un état dans les frontières fixées aujourd’hui, mais les frontières des aspirations sionistes sont l’affaire du peuple juif et aucun facteur extérieur ne peut les limiter. » 

Menachem Begin, lui, déclarait plus catégoriquement : « Eretz Israel sera rendue au peuple juif. En totalité. Et pour toujours. » 

Trois jours après le début de l’invasion de Suez par Israël, Ben Gourion déclarait devant la Knesset que l’enjeu véritable était « la restauration du royaume de David et Salomon », ce qui signifie l’expansion d’Israël jusqu’aux « frontières bibliques » (« de l’Euphrate au Nil », selon un autre slogan sioniste). L’invasion israélienne et l’intervention franco-britannique en soutien avaient été finalisées lors d’une réunion secrète dans une villa de la banlieue parisienne, le 24 octobre 1956, où étaient présents Ben Gourion, Patrick Dean des services spéciaux britanniques, et Christian Pineau, ministre français des Affaires étrangères. L’accord signé, connu sous le nom de « Protocole de Sèvres », visait à renverser Nasser et lui reprendre le Canal. Le plan échoua grâce à l’intervention d’Eisenhower. Mais la tentative suivante, en 1967, réussit grâce à la non-intervention (et même l’aide secrète) de Johnson. Bien que le public américain et européen ait été conduit à croire que la conquête de nouveaux territoires par Israël en 1967 était déclenchée par une attaque égyptienne, les historiens savent aujourd’hui qu’il n’en est rien. Le Premier ministre israélien Menachem Begin a lui-même admis, dans un discours prononcé le 8 août 1982 devant le National Defense College de Jérusalem, que la Guerre des Six jours n’était pas « une guerre nécessaire », mais « une guerre choisie. Nasser ne nous a pas attaqués. C’est nous qui avons décidé de l’attaquer. » Ariel Sharon, qui s’illustra dans la prise du Sinaï lors de la Guerre des Six jours, résuma bien le rôle prépondérant de l’appareil militaire dans cette politique d’annexion : « On aurait pu enfermer les ministres dans une pièce et partir avec la clé. On aurait pris les décisions appropriées et personne n’aurait su que les événements étaient le résultat de décisions prises par les principaux généraux. » 

Sharon est l’homme qui incarne le mieux la brutalité de cet esprit de conquête. Il avait commandé l’Unité 101 qui le 14 octobre 1953 rasa le village de Qibya en Jordanie, tuant 69 civils dans le dynamitage de leurs maisons. En 1956, une unité sous son commandement avait fait exécuter plus de 200 prisonniers égyptiens et civils soudanais. En 1971, chargées de mettre un terme à la résistance dans la Bande de Gaza, ses troupes tuent plus de 100 civils palestiniens. Et en septembre 1982, le massacre de plus de 1 500 femmes, enfants et vieux dans deux camps de réfugiés palestiniens de Beyrouth lui vaut le surnom de « boucher de Sabra et Chatila ». Lorsqu’il est ministre des Affaires étrangères de Netanyahou de 1996 à 1999, Sharon qualifie les Accords d’Oslo de « suicide national » et se prononce pour les « frontières bibliques », encourageant les colonies illégales : « Chacun doit courir s’emparer de toutes les collines qu’il peut pour élargir les colonies, parce que tout ce que nous prendrons maintenant restera à nous », déclare-t-il le 15 novembre 1998. Lorsqu’il arrive au pouvoir en février 2001, tandis que Netanyahou devient à son tour ministre des Affaires étrangères, Sharon sabote volontairement le processus de paix et déclenche la seconde Intifada par ses provocations calculées. Tandis qu’en mars 2001, 22 nations réunies à Beyrouth sous l’égide de la Ligue Arabe s’engagent à reconnaître Israël sous condition d’application de la Résolution 242 (retour aux frontières d’avant 1967), l’armée israélienne envahit Ramallah et assiège Yasser Arafat dans son QG. Six mois plus tard, le 11-Septembre porte le coup de grâce à tout espoir de paix. 

L’état d’esprit qui règne au sein du commandement militaire d’Israël et du gouvernement Sharon est assez bien représenté par les propos de Martin van Creveld, professeur d’histoire militaire à l’Université de Jérusalem, expliquant au Guardian (21 septembre 2003) que les récurrentes révoltes palestiniennes ne trouveront qu’une seule solution : le « transfert » de tous les Palestiniens hors de Palestine. Sur le risque d’une opposition de la communauté internationale à un tel projet, il ajoute : 

« Nous possédons plusieurs centaines de têtes et missiles nucléaires et nous pouvons les lancer dans toutes les directions, peut-être même sur Rome. La plupart des capitales européennes sont les cibles de notre force aérienne. […] Nous avons la capacité d’entraîner le monde dans notre chute. Et je peux vous assurer que cela arrivera avant qu’Israël ne tombe. » 

Ron Rosenbaum, dans How the End Begins : The Road to a Nuclear World War III (2 012), rappelle que telle est bien le postulat de la politique militaire israélienne depuis les années 70, la fameuse « Option Samson » : « L’abandon du principe de proportionnalité est l’essence de l’Option Samson : même si Israël se trouvait détruit, on peut être sûr que ses sous-marins nucléaires – qui sillonnent la Mer rouge, l’Océan indien et le Golfe persique à des profondeurs indétectables – pourraient déclencher des représailles à une échelle génocidaire pratiquement n’importe où dans le monde », y compris sur Moscou, des capitales européennes et toutes les villes saintes de l’islam.

Les dirigeants sionistes actuels ne sont pas seulement opposés à la partition de la Palestine. Ils sont animés d’une vision quasi impériale du destin d’Israël, que ne reflètent pas leurs discours sur la scène internationale, mais que Sharon exprimait en hébreu en décembre 1981 dans un discours destiné à l’Institute for Strategic Affairs de l’Université de Tel Aviv : 

« Au-delà des pays arabes au Moyen-Orient et sur les rives de la Méditerranée et de la Mer rouge, nous devons étendre le champ des préoccupations stratégiques et sécuritaires d’Israël dans les années 80 pour y inclure des pays comme la Turquie, l’Iran, le Pakistan, et des zones comme le Golfe persique et l’Afrique, et en particulier les pays de l’Afrique du Nord et du Centre. » 

Ce discours sera annulé en raison de la controverse sur l’annexion des territoires syriens du Plateau du Golan, mais sera publié peu après dans le quotidien Maariv. Cette « doctrine Sharon » se retrouve dans un certain nombre d’autres textes en hébreu que le dissident Israel Shahak a traduits en anglais dans Open Secrets : Israeli Nuclear and Foreign Policies (1 997). Par exemple, dans un essai intitulé « A Strategy for Israel in the Eighties » écrit pour la World Zionist Organisation en février 1982, Oded Yinon, ancien haut-fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, prône une stratégie de contrôle du Moyen-Orient passant par la fragmentation de tous les voisins d’Israël, à commencer par le Liban : 

« La désintégration totale du Liban en cinq gouvernements régionaux localisés constitue le précédent pour le monde arabe tout entier, y compris l’Égypte, la Syrie, l’Irak et la péninsule arabique, d’une manière similaire. La dissolution de l’Égypte et plus tard de l’Irak en différents districts de minorités ethniques et religieuses selon l’exemple du Liban, est l’objectif d’Israël à long terme sur le front Est. L’affaiblissement militaire actuel de ces États est l’objectif à court terme. La Syrie se désintégrera en plusieurs États suivant la ligne de sa structure ethnique et sectaire, comme cela se passe aujourd’hui au Liban. » 

En septembre 1982, Ariel Sharon, ministre de la Défense, lance l’invasion du Liban et dévaste la cité prestigieuse de Beyrouth sous un tapis de bombes (gracieusement fournies avec les avions par les États-Unis), causant la mort de 10 000 civils et le déplacement d’un demi-million. Selon le journal de Moshe Sharett déjà cité, le projet de déstabiliser le Liban en y fomentant une guerre civile pour justifier une intervention militaire israélienne et l’annexion de territoire a été élaboré dès 1955, par le ministre de la Défense Moshe Dayan.

Parce qu’il a fondé officiellement un « État juif » qui traite ses non-juifs comme des citoyens de second rang et interdit les mariages interethniques, le sionisme a été qualifié de « forme de racisme et de discrimination raciale » par la Résolution 3 379 de l’Assemblée générale des Nations Unies en 1975 (révoquée en 1991). Israël est un État ségrégationniste, qui a d’ailleurs établi avec l’État d’apartheid d’Afrique du Sud, en violation du boycott par le reste de la communauté internationale, une coopération économique et militaire dénoncée également par les Nations Unies en 1973 (Résolution 3 151) ; cette coopération incluait des recherches sur des armes bactériologiques « ethnospécifiques » destinées à contaminer sélectivement les populations indésirables, menées conjointement par le Project Coast en Afrique du Sud (sous la direction du fameux Docteur Wouter Basson) et par l’Institut de Recherche Biologique fondé en 1952 en Israël sous le contrôle du ministère de la Défense.

La recherche d’armes bactériologiques capables de contaminer les Arabes en épargnant les Juifs a été poursuivie jusqu’à la fin des années 1990, et sans doute au-delà, comme l’a révélé le Sunday Times en 1998. Souvenons-nous qu’à l’époque, Israël alertait le monde entier sur le danger imaginaire des armes chimiques et bactériologiques de Saddam Hussein. 

Le sionisme est né en Allemagne à la fin du 19ème siècle, dans le même creuset culturel et idéologique que le nazisme. Il lui a survécu parce qu’il a su capitaliser après la guerre sur la terrible souffrance des juifs d’Europe de l’Ouest, et progressivement usurper la représentativité de la communauté juive internationale. Mais il a dû pour cela faire oublier sa collaboration active durant les années 30 avec le régime nazi, amplement documentée par les chercheurs juifs antisionistes Ralph Schoenman ("Histoire cachée du sionisme", 1 988) et Lenni Brenner ("Zionism in the Age of Dictators", 1983, et 51 Documents : "Zionist Collaboration with the Nazis", 2 009). Les sionistes, qui combattaient les tendances assimilationnistes de la majorité des juifs européens, ont soutenu sans réserve les lois raciales d’Hitler interdisant les mariages mixtes ; de leur côté, les nazis voyaient alors l’émigration massive des juifs vers la Palestine comme la meilleure « solution au problème juif ». Le rabbin Joachim Prinz, futur président de l’American Jewish Congress (1958-1966), célébrait à Berlin en 1934 les lois raciales allemandes dans son livre "Wir Juden" : 

« Un État construit sur le principe de la pureté de la nation et de la race peut être honoré et respecté par un juif qui affirme son appartenance à ses semblables. » 

La discrimination des juifs assimilationnistes et intégrés favoriserait leur conversion à l’idéal sioniste, avait même prévu Theodor Herzl, de sorte que « les antisémites deviendront nos amis les plus sûrs, et les pays antisémites nos alliés ». Alors même qu’en 1933 l’American Jewish Congress organisait le boycott des produits allemands, l’Organisation Sioniste Mondiale signait avec l’Allemagne nazie l’Accord Haavara permettant le transfert de nombreuses fortunes juives en Palestine. Et en 1941, le groupe terroriste Lehi, une dissidence de l’Irgoun dont l’un des chefs, Yitzhak Shamir (né Yzernitsky), deviendra Premier ministre, offrit formellement au gouvernement allemand de « prendre une part active à la guerre aux côtés de l’Allemagne » contre les Britanniques, qui à l’époque administraient la Palestine et y limitaient l’immigration juive.

L’idéologie racialiste et suprématiste du sionisme précède celle du nazisme, et l’a en partie inspirée. Zeev Jabotinsky écrit en 1923 dans "Le Mur de fer", deux ans avant le "Mein Kampf" d’Hitler : 

« Un juif élevé au milieu d’Allemands […] peut devenir totalement imprégné de ce fluide germanique, mais il restera toujours un juif, parce que son sang, son organisme et son type racial, sur le plan corporel, sont juifs 18 . » 

On sait aujourd’hui ce qu’il faut penser de cette revendication raciale ; et de toute façon, il est établi que les colons israéliens issus d’Europe de l’Est ne peuvent prétendre à aucune ascendance génétique parmi les anciens Hébreux de Judée ou de Samarie, contrairement aux Palestiniens qu’ils ont expulsés de leurs terres ancestrales, et contrairement peut-être aux juifs sépharades d’Afrique du Nord, qualifiés de « déchets humains » par le Premier ministre Levi Eshkol, et soumis dans les années 50 à des mesures eugéniques de la part du pouvoir majoritairement ashkénaze Haim Malka, "Selection and Discrimination in the Aliya and Absorption of Moroccan and North African Jewry", 1948-1956, 1998.

Zeev Jabotinsky écrit encore dans "Le Mur de fer" : 

« Toute colonisation, même la plus réduite, doit se poursuivre au mépris de la volonté de la population indigène. Et donc, elle ne peut se poursuivre et se développer qu’à l’abri du bouclier de la force, ce qui signifie un mur de fer que la population locale ne pourra jamais briser. Telle est notre politique arabe. La formuler autrement serait une hypocrisie. » 

Le colonialisme raciste de Jabotinsky est une clé aussi importante que le machiavélisme de Leo Strauss pour décrypter la mentalité des hommes qui œuvrent au projet sioniste, en Israël comme aux États-Unis. C’est, au minimum, une clé indispensable pour comprendre les visées ultimes de Benjamin Netanyahou, dont le père, Ben Zion Netanyahou (né Mileikowsky à Varsovie) était le secrétaire personnel de Jabotinsky. Le 31 mars 2009, Netanyahou a nommé aux Affaires étrangères Avigdor Lieberman, issu du parti Yisrael Beiteinu qui se présente comme « un mouvement national avec la claire vision de suivre le chemin glorieux de Zeev Jabotinski. » Durant l’assaut contre Gaza en janvier 2009, Lieberman a plaidé pour « combattre le Hamas comme les États-Unis ont combattu les Japonais durant la Seconde Guerre mondiale».

Dans l’Allemagne de la fin du 19ème siècle, la notion biblique de « peuple élu » a été transposée par les pères fondateurs du sionisme dans le paradigme racialiste qui dominait alors en Occident. Mais le sionisme est avant tout un rêve biblique, comme son nom l’indique (Sion est le nom donné à Jérusalem 152 fois dans la Bible hébraïque) : « La Bible est notre mandat », proclama Chaim Weisman, futur premier président d’Israël, à la Conférence de Versailles en 1919.

Bien qu’agnostique, David Ben Gourion (né Grün en Pologne), était habité par l’histoire antique de son peuple, au point d’adopter le nom d’un général judéen ayant combattu les Romains. « Il ne peut y avoir aucune éducation politique ou militaire valable sans une connaissance profonde de la Bible », répétait-il. Envisageant une attaque contre l’Égypte dès 1948, il écrit dans son journal : 

« Ce sera notre vengeance pour ce qu’ils ont fait à nos aïeuls à l’époque biblique. » 

Ben Gourion prenait la Torah pour un récit historiquement fiable, et aujourd’hui encore, l’État hébreu la revendique comme histoire nationale, refusant les preuves archéologiques que le Royaume de Salomon, comme la plus grande partie de l’« histoire biblique », appartient au domaine du mythe et de la propagande. Pour les sionistes, récits et prophéties bibliques restent un modèle et un programme immuables. Ainsi, le nettoyage ethnique planifié par Ben Gourion en 1947-48, qui fit fuir 750 000 Palestiniens, soit plus de la moitié de la population native, rappelle celui ordonné par Yahvé à l’encontre des Cananéens : 

« Faire table rase des nations dont Yahvé ton Dieu te donne le pays, les déposséder et habiter leurs villes et leurs maisons » et, dans les villes qui résistent, « ne rien laisser subsister de vivant » (Deutéronome 19 h 1, 20 h 16). Ce qui rend ce concept de « peuple élu » bien plus toxique que les formes séculières de racisme – outre sa totale immunité à toute rationalité – est l’autre face de la pièce : l’idée que tout autre peuple sera « maudit » s’il ne sert pas le peuple élu. Le Dieu biblique abattra sa « vengeance » sur ses ennemis, les « peuples qu’il a condamnés », et son épée, après les avoir « dévorés », sera « remplie de sang et repue de graisse » (Isaïe 34 : 5-6, Jérémie 46 : 10).

Ce rêve insufflé par le Dieu biblique à son peuple élu n’est pas seulement un rêve racial national qui déclare les Cananéens (les Palestiniens autochtones) tout juste bons à être « exterminés sans pitié » (Josué 11 h 20) ou réduits à l’esclavage (Genèse 9 h 2 427). C’est très clairement aussi un rêve impérial. On évoque souvent ces vers du deuxième chapitre d’Isaïe (repris dans Michée 4 h 1-3) comme preuve que le message prophétique est pacifique : 

« Ils briseront leurs épées pour en fait des socs, et leurs lances pour en faire des serpes. On ne lèvera plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à faire la guerre. » 

Mais on omet généralement les vers précédents, qui indiquent que cette Pax Judaica ne viendra que lorsque « toutes les nations » rendront hommage « à la montagne de Yahvé, à la Maison du Dieu de Jacob », lorsque Yahvé, depuis son Temple, « jugera entre les nations. » 

Ben Gourion, véritable père d’Israël, était guidé par cette vision prophétique, qu’il reprit à son compte en 1962 dans une déclaration publiée par le magazine américain Look, où il émettait cette prédiction pour 1987 (le prochain quart de siècle) : 

« Toutes les armées seront abolies, et il n’y aura plus de guerres. À Jérusalem, les Nations Unies (de vraies Nations Unies) construiront un sanctuaire aux prophètes pour servir à l’union fédérale de tous les continents ; ce sera le siège de la Cour Suprême de l’Humanité, où seront réglés tous les conflits entre les continents fédérés, comme l’a prophétisé Isaïe.

Cette vision d’un Nouvel Ordre Mondial centré sur Jérusalem inspire aujourd’hui, plus que jamais, de nombreux intellectuels juifs. Jacques Attali, dans l’émission qu’il anime sur la chaîne Public Sénat avec Stéphanie Bonvicini, se prend à « imaginer, rêver d’une Jérusalem devenant capitale de la planète qui sera un jour unifiée autour d’un gouvernement mondial ». 

Lors du Sommet de Jérusalem qui s’est tenu du 11 au 14 octobre 2003 dans le lieu symbolique de l’hôtel King David, une alliance fut scellée entre sionistes juifs et chrétiens autour d’un projet « théopolitique » faisant d’Israël (selon les termes de la « Déclaration de Jérusalem » signée par les participants), « la clé de l’harmonie des civilisations », en remplacement des Nations Unies, devenues « une confédération tribalisée détournée par les dictatures du Tiers-Monde ». « L’importance spirituelle et historique de Jérusalem lui confère une autorité spéciale pour devenir le centre de l’unité du monde. […] Nous croyons que l’un des objectifs de la renaissance divinement inspirée d’Israël est d’en faire le centre d’une nouvelle unité des nations, qui conduira à une ère de paix et de prospérité, annoncée par les prophètes. » Trois ministres israéliens en exercice, dont Benjamin Netanyahou, se sont exprimés à ce sommet, et l’invité d’honneur Richard Perle reçut à cette occasion le Prix Henry Scoop Jackson. 

Le soutien de nombreux chrétiens évangéliques à ce projet ne doit pas surprendre. Avec plus de 50 millions de membres, le mouvement Christians United for Israel est devenu une force politique considérable aux États-Unis. Son président, le pasteur John Hagee, auteur de "Jerusalem Countdown : A Prelude to War" (2007), déclare : 

« Les États-Unis doivent se joindre à Israël dans une frappe militaire préemptive contre l’Iran pour réaliser le plan de Dieu pour Israël et l’Occident, […] une confrontation de fin du monde prophétisée dans la Bible, qui mènera à l’Enlèvement des saints, la Tribulation et la Seconde Venue du Christ. »

Le Nouvel Ordre Mondial n’est-il pas, en définitive, le faux nom de l’Empire de Sion ? 

Il est utile de rappeler que, bien avant d’être employée par le président Bush père, l’expression a été forgée en 1957 par le géopoliticien Robert Strausz-Hupé, dans le premier numéro de sa revue Orbis, conçu comme le manifeste de son Foreign Policy Research Institute (FPRI), l’un des creusets du néoconservatisme. Strausz-Hupé y assimile ce Nouvel Ordre Mondial destiné à « enterrer les États-nations » à « l’empire universel américain » : « L’empire américain et l’humanité ne seront pas opposés, mais simplement deux noms pour un même ordre universel sous le signe de la paix et du bonheur : Novus orbis terranum (Nouvel Ordre Mondial). » 

Henry Kissinger, élève de Strausz-Hupé, pouvait sembler adhérer à ce programme avoué. Mais pas Daniel Pipes, fils de Richard, propagandiste ultra-sioniste que Strausz-Hupé nommera rédacteur en chef d’Orbis en 1986, puis président du Middle-East Forum (à l’origine une branche du FPRI) en 1990. Le disciple a-t-il trahi l’intention du maître, ou bien le projet du Nouvel Ordre Mondial américain possède-t-il depuis toujours un double fond sioniste ? Il semble bien, en tout cas, que les Américains aient été bernés en croyant que le Nouvel Ordre Mondial serait américain ; il sera sioniste ou ne sera pas.

Le malentendu est savamment entretenu même au sein de la mouvance « complotiste », ennemie jurée du Nouvel Ordre Mondial. La démonstration en est faite par le dernier film de Jason Bermas produit par Alex Jones, "Invisible Empire" (2010), un ramassis de poncifs qui met les Bush et les Rockefeller au centre du complot du Nouvel Ordre Mondial mais se tait sur la composante sioniste, même en parlant des néoconservateurs. Dans le même sac doit être mis Webster Tarpley et son livre culte, "9/11 Synthetic Terror : Made in USA", qui présente les Wolfowitz et autres néoconservateurs comme les « taupes » d’un « gouvernement invisible » sans rapport avec Israël et qui écrit, sans aucun élément à l’appui : 

« Le service secret étranger qui a apporté le plus gros soutien indirect au 11-Septembre est indiscutablement le MI-6 britannique. »

L’intoxication est encore illustrée par la circulation sur Internet de la fausse citation de David Rockefeller remerciant les directeurs du Washington Post, New York Times et autres publications pour leur discrétion de quarante ans sur le projet de « souveraineté supranationale » de la Commission Trilatérale. Plus crédibles seraient les félicitations d’un Rothschild (un descendant de Lord Lionel Walter Rothschild de l’English Zionist Federation, qui posa la première pierre d’Israël en achetant la Déclaration Balfour au gouvernement britannique) pour leur discrétion de quarante ans sur les crimes et manigances d’Israël. 

Ce dont les Américains n’ont pas non plus été informés, c’est que le prix à payer d’avance pour ce Nouvel Ordre Mondial pseudo-américain et crypto-israélien serait une Nouvelle Guerre Mondiale.

 Mais cela aussi est inscrit dans le programme sioniste, car c’est le cauchemar préalable au rêve biblique. Le prophète Zacharie, souvent cité sur les forums sionistes, prédit dans son chapitre XIV que Yahvé combattra « toutes les nations » liguées contre Israël. En une journée unique, toute la terre deviendra un désert, à l’exception de Jérusalem, qui « sera élevée et demeurera en sa place ». Le don prophétique de Zacharie semble lui avoir inspiré une vision de ce que Dieu pourrait faire avec des armes atomiques : 

« Et voici quelle sera la plaie dont l’Éternel frappera tous les peuples qui auront combattu contre Jérusalem : il fera tomber leur chair en pourriture pendant qu’ils seront debout sur leurs pieds, leurs yeux fondront dans leurs orbites, et leur langue fondra dans leur bouche. »

Ce n’est qu’après ce carnage que viendra la paix mondiale : 

« Il arrivera que tous les survivants de toutes les nations qui auront marché contre Jérusalem monteront année après année se prosterner devant le roi Yahvé Sabaot et célébrer la fête des Tentes. Celle des familles de la terre qui ne montera pas se prosterner à Jérusalem, devant le roi Yahvé Sabaot, il n’y aura pas de pluie pour elle. Etc. »

L’humanité ne peut ignorer qu’à ses risques et périls la force de suggestion qu’exercent de tels mythes sur tous ceux qui se considèrent comme membres du « peuple élu ». 

Est-il possible que ce rêve biblique, mélangé au néo-machiavélisme de Leo Strauss et au militarisme du Likoud, anime secrètement un clan d’ultra-sionistes particulièrement déterminés et organisés, qui entraîne malgré eux les peuples israélien et américain dans une guerre de destruction totale ? 

La question doit être posée. Le général Wesley Clark, ancien commandant en chef de l’OTAN, a témoigné à de nombreuses occasions, devant caméras, qu’un mois après le 11 septembre 2001, un général du Pentagone lui montrait un mémo émanant des stratèges néoconservateurs « qui décrit comment on va prendre sept pays en cinq ans, en commençant par l’Irak, puis la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie et le Soudan, et en finissant par l’Iran ». Est-ce par une coïncidence que les « Sept Nations » ennemies d’Israël font partie des mythes bibliques inculqués aux écoliers israéliens dès l’âge de neuf ans ? Selon Deutéronome 7, en effet, Yahvé livrera à Israël « sept nations plus grandes et plus puissantes que toi. […] Yahvé ton Dieu te les livrera, elles resteront en proie à de grands troubles jusqu’à ce qu’elles soient détruites. Il livrera leurs rois en ton pouvoir et tu effaceras leur nom de dessous les cieux » (voir aussi Josué 24 : 11).

Laurent Guyénot, "JFK - 11 Septembre : 50 ans de manipulations"