À Gaza, la famine n’est pas seulement une conséquence de la guerre. Une enquête du média égyptien Mada Masr révèle comment le contrôle de l’entrée des marchandises et de l’aide humanitaire a permis à un réseau d’intermédiaires de transformer la faim en un marché extrêmement rentable.
Un système de monopole mis en place dès le début de la guerre
Ce système, qui élimine toute concurrence, provoque une flambée immédiate des prix et crée une rente colossale. Les données de la Chambre de commerce de Gaza estiment que ces frais ont généré plus d’un milliard de dollars en deux ans.
Le rôle clé de l’axe égyptien
Sous pression internationale, Israël autorise à partir de novembre 2023 l’entrée d’une aide humanitaire limitée. Très rapidement, des marchandises commerciales sont autorisées à entrer aux côtés de l’aide, officiellement pour "améliorer la situation humanitaire". Dans les faits, ces biens sont vendus à des prix inaccessibles pour la majorité de la population, tout en étant comptabilisés par Israël comme de "l’aide", ce qui gonfle artificiellement ses statistiques.
Des marchandises déguisées en aide humanitaire
Selon l’enquête, ce détournement repose sur des documents falsifiés et des arrangements informels impliquant des sociétés de transport et des employés d’organisations humanitaires internationales. Plusieurs agences humanitaires dénoncent alors des pratiques de chantage et des coûts excessifs, certaines cherchant à contourner les circuits imposés.
La sécurité, nouveau maillon de l’économie de la faim
Des clans et des tribus s’organisent pour protéger les cargaisons contre rémunération ou en échange de marchandises. Ce secteur se structure rapidement avec l’émergence de la société "Aqsa pour le transport, la sécurité et le gardiennage", dirigée par l’Égyptien Amr Hadoud, proche d’Ibrahim al-Argani. Les frais de sécurité atteignent entre 10 000 et 30 000 dollars par camion, des coûts entièrement répercutés sur les consommateurs.
Une aide humanitaire exposée, un commerce protégé
À l’été 2024, lors de la reprise partielle des livraisons, Israël impose un système de "distribution autonome" pour l’aide onusienne. Les camions humanitaires sont volontairement exposés au pillage: près de 75 % des convois sont volés ou détournés. À l’inverse, les cargaisons commerciales et celles des entreprises autorisées bénéficient de couloirs sécurisés et d’escortes armées.
Cette asymétrie renforce la marginalisation de l’aide gratuite et consolide le marché de la sécurité privée, devenu indispensable à toute activité commerciale dans l’enclave.
Une famine organisée et rentable
À partir de l’été 2024, Israël réautorise certaines importations commerciales, mais les limite à un très petit nombre d’entreprises, notamment celle du Palestinien Mohammed al-Khazandar, proche d’Israël. Les frais de coordination atteignent alors jusqu’à 300 000 dollars par camion. La concurrence avec le corridor égyptien permet une légère baisse des tarifs, sans jamais remettre en cause le système de rente.
Au final, tous les coûts, coordination, transport, stockage, sécurité et corruption, sont intégrés dans les prix. Les produits alimentaires de base augmentent de plus de 1 000 %. Certaines cargaisons génèrent jusqu’à un million de dollars de chiffre d’affaires, tandis que la population de Gaza sombre dans la famine.
L’enquête conclut que la famine à Gaza n’est pas un effet collatéral de la guerre, mais le résultat d’un système organisé de contrôle, de pénurie imposée et de prédation économique, mis en place sous supervision israélienne et exploité par un réseau structuré d’intermédiaires et de sociétés privées.