"Le bureau de l'AFP à Gaza [...] a été détruit, et là, pour moi, j'ai l'impression qu'il y avait une ligne rouge qui avait été franchie", Yann Ollivier, producteur du documentaire "Dans Gaza".
Arte a diffusé mardi 2 décembre 2025 "Dans Gaza", un documentaire exceptionnel d’Hélène Lam Trong qui plonge au cœur du travail des journalistes palestiniens de l’AFP, seuls témoins directs d’un territoire verrouillé depuis le 7 octobre 2023. Entre bombardements, deuils, pressions et remise en cause permanente de leur crédibilité, le film dévoile une guerre racontée de l’intérieur et interroge frontalement la liberté d’informer aujourd’hui.
Au cœur du projet, les journalistes de l’AFP à Gaza
Une initiative née après la frappe sur les bureaux de l’AFP
Pour Factstory, la filiale documentaire de l’agence, il devient urgent de montrer ce que vivent ces journalistes, que plus personne ne peut rejoindre sur le terrain – les médias internationaux étant interdits d’accès à Gaza depuis deux ans.
Un territoire coupé du monde
Pour Hélène Lam Trong, le refus d’Israël de laisser entrer la presse internationale constitue une atteinte historique à la liberté d’informer. Selon elle, même dans les conflits les plus tendus, jamais une démocratie n’avait imposé un tel black-out médiatique.
Privée d’accès au terrain, la presse internationale dépend entièrement des journalistes gazaouis, devenus les seuls relais d’information – tout en étant régulièrement pris pour cibles.
Une guerre de l’image
Le film montre comment les reporters locaux voient systématiquement leur travail remis en cause. L’exemple le plus frappant reste celui d’une photo montrant un père portant son enfant mort : accusés de manipulation, les journalistes ont dû prouver l’authenticité d’une scène pourtant évidente.
Selon la réalisatrice, cette « disqualification permanente » vise à affaiblir leur crédibilité et à légitimer l’idée qu’il n’existerait pas de journalistes indépendants dans la bande de Gaza.
Des images trop violentes pour le public occidental
En visionnant près de 5 000 photos et d’innombrables heures de rushs, Hélène Lam Trong a dû faire des choix douloureux : la majorité des images étaient trop dures pour être montrées, bien qu’elles disent l’ampleur de la tragédie.
Le film cherche donc un équilibre entre vérité et montrabilité.
Des difficultés à trouver un diffuseur
Un paradoxe, souligne la réalisatrice, quand d’autres conflits – comme en Ukraine – sont racontés sans que la légitimité des reporters locaux soit questionnée.
C’est finalement la RTBF, puis Arte, qui ont choisi d’accompagner ce projet.
Plus de 200 journalistes tués
Selon RSF, plus de 220 reporters palestiniens ont été tués depuis le début de la guerre. Un chiffre sans précédent, qui n’a pourtant suscité que de faibles réactions internationales.
Pour Hélène Lam Trong, cette indifférence crée un précédent dangereux : elle envoie au monde le signal que cibler des journalistes peut rester impuni.
Un avenir sombre pour le reportage de guerre
Cette situation pourrait redéfinir durablement la pratique du journalisme en zone de conflit. Si les reporters savent qu’aucune protection internationale ne les couvre, beaucoup renonceront à se rendre sur les terrains les plus risqués. Six mois après le début de la guerre, les journalistes suivis dans "Dans Gaza" ont été évacués.
Installés aujourd’hui en Europe ou au Qatar, ils poursuivent leur travail à distance – tout en portant le poids de la perte : maisons détruites, familles toujours en danger, impossibilité de retrouver leur vie d’avant.
Mais leur mission, documenter coûte que coûte, reste la même.
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