dimanche 14 décembre 2025

En Palestine, l’impossible récolte des olives



Des Palestiniens âgés assistent impuissants au déracinement de leurs oliviers par des bulldozers de l'occupation sur leurs terres à Qaryout, dans le district de Naplouse, en Cisjordanie occupée. Selon des sources locales, des centaines d'arbres ont été arrachés.


En Palestine, l’impossible récolte des olives


Rythmée par la sécheresse et les attaques de colons israéliens d’une violence sans précédent, la récolte des olives de l’automne 2025 en Cisjordanie occupée est l’une des pires jamais enregistrées. Cette année, la production d’huile d’olive ne devrait pas dépasser les 7 000 tonnes, soit 32% de la production moyenne historique. Reportage dans le village de Wadi Fukin, où l’on se bat pour subsister — et pour rester.

À Wadi Fukin, village agricole à l’ouest de Bethléem en Cisjordanie occupée, l’inquiétude est vive. Alors que la récolte des olives, traditionnellement un rituel annuel de partage et de retrouvailles en famille, bat son plein, les visages sont fermés, les regards à l'affût. Une dizaine de personnes se sont rassemblées dans l’oliveraie de Mustapha Saady, agriculteur du village. « Nous sommes venus en solidarité et pour nous assurer que la récolte se déroule tranquillement », explique Miled Hayek, coordinateur de la campagne « Olive Tree » pour la Joint Advocacy Initiative (JAI), une organisation palestinienne de défense des droits humains. « Nous avons décidé de ne récolter que les olives des arbres se trouvant au milieu du village, il est trop dangereux de se rendre dans les champs alentour, qui bordent les colonies », poursuit-il.

Autrefois dénommée le « jardin de la région », la vallée fertile et riche en eau de moins de 2000 âmes où se niche Wadi Fukin pouvait à elle seule nourrir la ville de Bethléem. Aujourd’hui, le village, encastré dans la vallée, est encerclé et dominé par trois colonies israéliennes — Betar Illit, Tzur Hadassah et Mevo Beitar — et peine à subvenir à ses propres besoins.

En plus des expropriations et des interdictions de circulation arbitraires qui leur sont imposées, les agriculteurs sont harcelés par les attaques des colons, et nombreux sont ceux qui ont dû abandonner leurs terres, par peur et lassitude. « La situation peut devenir très dangereuse : si un paysan ici se fait attaquer et se retrouve blessé, il n’y a personne qui puisse lui venir en aide, ni police, ni service de soin », explique Miled Hayek. Mustapha Saady, qui possède des oliviers à l’extérieur du village — au pied de la colonie Betar Illit — ne s’y rendra pas cette année, de peur d’être pris pour cible.

Le village de Wadi Fukin n’est pas un cas isolé. Partout ailleurs en Cisjordanie occupée, des attaques sont signalées quasi quotidiennement, notamment aux alentours des villes d’Hébron, Naplouse et Ramallah. Rien qu’en octobre 2025, plus de 260 attaques de colons israéliens ont été recensées, d’après le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme (OHCHR), soit plus que tout autre mois depuis 2006.


« Cette année, la situation est sans précédent. Il y a toujours eu des violences commises par les colons, mais ça n'a jamais été aussi tendu », avance Juliet Bannoura, chercheuse auprès du Applied Research Institute – Jerusalem (ARIJ), centre de recherche spécialisé sur les questions climatiques et agricoles. À ce jour, plus de 3000 actes de violence commis par les colons ont été recensés en 2025. « C’est deux fois plus que l’année dernière à la même époque », affirme-t-elle.

Une récolte réduite à peau de chagrin


Les premières pluies d’automne, qui s’abattent d’habitude à la mi-octobre, sonnent depuis toujours le début de la récolte des olives en Palestine. Mais cette année, marquée par une sécheresse historique, nul autre choix que de se passer de cet habituel signal pour commencer à se rendre aux champs.

L’hiver 2024-2025 a connu l’une des sécheresses les plus graves jamais enregistrées dans la région, avec seulement 40% des précipitations annuelles moyennes, et des jours de pluie dispersés. Contrairement aux arbres qui se trouvent de l’autre côté du mur de séparation, en Israël, les oliviers de Cisjordanie occupée dépendent presque entièrement des précipitations, les agriculteurs palestiniens ayant peu accès à l’eau. « 80% de l’eau palestinienne est sous contrôle israélien », explique Fayyad Fayyad, chef du Conseil de l’huile d’olive de l’Autorité palestinienne. Les hivers plus doux favorisent en outre la prolifération des ravageurs et des maladies, accentuant le stress des arbres et les pertes pendant les récoltes.

Wadi Fukin aurait pu pallier cette sécheresse historique en utilisant les eaux souterraines qui faisaient la notoriété du village. « Mais il y a dix ans, les colons ont dynamité l’une de nos plus grandes sources. L’eau s’est répandue partout et tout est à sec aujourd’hui », relate Muhannad Assaf, bénévole auprès de la défense civile palestinienne à Wadi Fukin, et venu pour prêter main forte à la cueillette. « À la place de cette eau limpide, les colonies déversent dans nos champs leurs eaux usées et leurs déchets ».


Résultat de ce stress hydrique sans précédent : cette année, la production d’huile d’olive en Cisjordanie ne dépassera pas les 7 000 tonnes, soit 45% de la production annuelle moyenne, qui s’élève à près de 22 000 tonnes. Pour les 100 000 familles palestiniennes qui dépendent de leurs oliveraies pour subsister, c’est la double peine, à la fois malmenées par les attaques de colons et le dérèglement du climat.

Une agriculture sous occupation


Depuis deux ans, sous prétexte de sa guerre génocidaire à Gaza, l’armée israélienne empêche l’accès à de larges zones agricoles en Cisjordanie, les ayant déclarées « terres d’État » ou, temporairement, « zones militaires » pendant la saison des olives. « Du jour au lendemain, l’armée israélienne peut décider — par ordre militaire — qu’une zone n’est plus accessible », explique Miled Hayek.


À Wadi Fukin, plusieurs agriculteurs n’ont pu retourner sur leurs terres depuis de longs mois. « En 2025, ce sont 25 000 dunums [25 kilomètres carrés] qui ont été visés par ces ordres militaires, c’est immense », commente la chercheuse Juliet Bannoura. En 2023, Israël avait refusé l'accès à 35 000 dunums de terre (35 kilomètres carrés) — ce chiffre s’élevait à 110 000 dunums (1100 kilomètres carrés) en 2023 —, selon les registres du ministère palestinien de l'Agriculture. Les pertes qui s’en sont suivies sont estimées à 1365 tonnes d'huile, soit une valeur d'environ 8,5 millions de dollars au prix de 2024. « Ces ordres militaires sont très dangereux. Ils sont théoriquement limités dans le temps, mais en réalité, nous ne savons pas si les agriculteurs pourront un jour récupérer leurs terres. Nous allons continuer de suivre cela de près dans les prochains mois », explique Juliet Bannoura.

En plus de cet arbitraire militaire et des attaques physiques perpétrées contre les Palestiniens par les colons israéliens — avec la complicité de l’armée — les oliviers sont eux aussi assaillis. En 2024, près de 20 000 arbres ont été déracinés en Cisjordanie, dont une majorité d'oliviers. En 2025, d’après des chiffres s’arrêtant au mois de septembre, plus de 11 000 arbres auraient été à leur tour déracinés par l’armée israélienne et les colons, dont 3100 au sein du village d’Al-Mughayyir, au nord-est de Ramallah, prétendument en représailles à une fusillade près d’une colonie de la région.

La production d’huile d’olive était également l’un des secteurs agricoles les plus importants de la bande de Gaza. Pour la troisième année consécutive, aucune récolte d’olives n’y a eu lieu, où un million d’oliviers ont été détruits sur 1,1 million, soit la quasi-totalité.

Face à l’entreprise de dépossession et de nettoyage ethnique, nombreux sont les Palestiniens qui s’identifient à ces arbres multi-centenaires voire millénaires, symboles ultimes de leur identité et de leur enracinement dans une terre dont on voudrait les chasser. Wadi Fukin est un village emblématique de cet esprit palestinien de résistance et de résilience puisqu’il a été à deux reprises conquis et détruit par les forces armées israéliennes (en 1948 et en 1967) avant que ses habitants ne reviennent et ne le reconstruisent. Ici, on l’assure : « Tant qu’il restera des oliviers en Palestine, nous resterons ».




Nombre d’arbres déracinés entre 2018 et septembre 2025 dans les territoires occupés de Cisjordanie.
The Applied Research Institute - Jerusalem



https://www.blast-info.fr/articles/2025/en-palestine-limpossible-recolte-des-olives-XVEgW-RWQ1KsCYkc0Osrbg