lundi 7 octobre 2024

« Ce que j’ai vu à Gaza dépasse l’entendement »

 



Aurélie Godard, une médecin dans l’enfer de Gaza



À 42 ans, l’anesthésiste et réanimatrice à l’hôpital d’Annecy a déjà effectué deux missions dans l’enclave palestinienne avec Médecins sans frontières. « Le futur des Gazaouis est soigneusement annihilé », affirme la professionnelle.

« L’enfer. » En douze ans et plusieurs missions humanitaires en Irak, au Yémen, Aurélie Godard n’a jamais été confrontée à pareille situation. « Ce n’est malheureusement pas mon premier pays en guerre. En revanche, ce que j’ai vu à Gaza dépasse l’entendement, dépasse ce à quoi j’étais préparée, ce qu’on nous en dit, ce qu’on en voit parfois de façon fugitive dans les médias en France », explique l’anesthésiste et réanimatrice à l’hôpital d’Annecy (Haute-Savoie). L’engagement de cette médecin de 42 ans, originaire du Finistère, au sein de Médecins sans frontières remonte à 2012.

Depuis le 7 octobre 2023, Aurélie Godard s’est rendue à deux reprises dans l’enclave palestinienne. Elle a prodigué des soins dans des centres de santé à Rafah et à Khan Younès. « Je ne suis pas historienne, ni journaliste, ni juriste. La seule légitimité de mon témoignage tient à ce que j’ai vu sur place : un paysage apocalyptique avec des bâtiments éventrés, en ruine, des villes sans rues, sans eau, sans électricité. »

Des problèmes sanitaires colossaux

Dès le 9 octobre, le ministre de la Défense, Yoav Gallant, avait affirmé : « J’ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé. Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence. » Cette déclaration s’était accompagnée du premier ordre israélien d’évacuation du nord de Gaza, contraignant plus de 1 million de civils à fuir vers le sud.

Human Rights Watch avait dénoncé à l’époque « une invitation à commettre des crimes de guerre ». Pour Aurélie Godard, la stratégie israélienne est claire : « Le futur des Gazaouis est soigneusement annihilé. Les hôpitaux, les écoles et les structures publiques ont été détruits. L’objectif est de rendre la bande de Gaza inhabitable. »


Elle s’arrête un instant puis reprend. « Les problèmes sanitaires sont colossaux. Ils s’additionnent les uns aux autres dans un système de santé qui est réduit en miettes de façon méthodique. Du coup, on tente de boucher tous les trous d’un bateau qui coule au fur et à mesure qu’ils apparaissent. Mais le bateau continue de couler », constate-t-elle.

En janvier 2024, quand Aurélie Godard part pour la bande de Gaza, tout fait défaut : l’eau manque, la nourriture se fait rare, ainsi que les médicaments, les équipements et produits de santé. Après trois mois de bombardements, d’opérations militaires, de déplacements forcés de la population, la crise humanitaire est déjà flagrante.

À son arrivée, elle soigne d’abord des patients à Rafah, dans le sud de l’enclave, avant de parvenir à rejoindre le nord du territoire, une région dévastée à laquelle il est quasiment impossible d’accéder. Chaque jour, le ministère de la Santé égrène le nombre de morts. Une litanie de chiffres qui « s’empilent », dénonce Aurélie Godard, mais restent abstraits.

Son travail sur place ? « Soigner des plaies, des patients brûlés, procéder à des gestes chirurgicaux. Il faut également dispenser de nombreux soins orthopédiques et s’occuper de blessures multiples sur l’ensemble du corps. »

Khan Younès, une ville fantôme

Malgré l’horreur de cette première mission, elle décide de retourner à Gaza du 7 avril au 23 mai. Aucune hésitation ou presque, « par solidarité avec les équipes palestiniennes, les médecins, les infirmiers, les sages-femmes avec qui on travaille et qui font preuve d’une résilience et d’un dévouement admirables ». Elle raconte que parfois ses collègues palestiniens ont des moments d’absence et s’en excusent. Comme ce jour où l’un d’entre eux lui a dit : « Désolé, mais aujourd’hui je ne suis pas au mieux de mes capacités. Ces quarante derniers jours, j’ai perdu quatre de mes frères. » Avant de repartir soigner un autre malade. « Ces gens-là font l’histoire », souffle-t-elle.

Lors de sa seconde mission, les services d’urgence de Gaza découvrent un charnier dans le complexe médical Nasser à Khan Younès : 180 cadavres sont mis au jour. La cité « était devenue une ville fantôme » , à l’exception de la « multitude de tentes où des familles tentent de survivre, dans des conditions désastreuses » qui ont conduit à la réapparition d’épidémies disparues telles que la polio, car il n’y a aucune gestion des eaux usées, des déchets.

« Heureusement, nous étions entourés de 200 médecins, infirmiers, pharmaciens. » Depuis ces missions, elle affirme sans ciller « que le nombre de morts n’est pas surestimé. Il est même quatre à dix fois plus important, estime-t-elle. Les gens qui ont besoin d’une césarienne, d’une chimiothérapie n’y ont plus accès. Cela s’additionne aux milliers et milliers de blessés découpés en morceaux par les bombes ». Aurélie Godard a repris son travail à l’hôpital d’Annecy en Haute-Savoie, mais assure que si l’opportunité se représente elle retournera à Gaza sans l’ombre d’une hésitation.


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