Rima Hassan a été auditionnée durant 11h30. Auditionnée pour avoir fait l'apologie du droit international.
Rima Hassan :
Durant cette audition, un des enquêteurs m’a reproché l’utilisation des termes « apartheid » et « génocide » pour évoquer la situation israélo palestinienne en indiquant « vous êtes juriste vous savez qu’Israël n’a pas été condamné pour ces motifs » et en poursuivant « que ces propos peuvent entraîner des discours haineux contre Israël et la communauté juive ».
Tout d’abord on peut relever la confusion que font ici les enquêteurs eux-mêmes entre Israël qui est un État comptable devant la communauté internationale de ses agissements et « la communauté juive » de France qui est composée de citoyens et citoyennes et donc d’individualité, de sensibilités différentes sur toute l’actualité nationale et internationale. J’ai moi-même et à plusieurs reprises sensibiliser sur la nécessité de se désolidariser des amalgames qui peuvent être faits à ce sujet visant à essentialiser les personnes de confession juive à la politique israélienne. Post initial du 10 octobre 2023 et republié à plusieurs reprises sur mes réseaux.
Cette essentialisation faite par les enquêteurs eux-mêmes invisibilise par ailleurs toutes les voix juives avec lesquelles les militants et militantes de la cause palestinienne travaillent quotidiennement et tend à présenter les citoyens de confession juive comme un corps social compacte qui parle et réfléchit d’une seule et même voix. Aussi, si des oppositions et divergences s’expriment elles ne s’expriment pas sur fond de suspicion basée sur la confession religieuse mais sur des idées politiques exprimées publiquement soit à titre personnel soit au nom d’une organisation. C’est ce qu’on appelle communément le débat public. Dire cela, s’en tenir à cette rigueur et à ces principes ne doit pas non plus nous rendre aveugles ou indifférents aux propos et actes antisémites et islamophobes qui se sont développées après le 7 octobre.
Sur l’apartheid, l’enquêteur m’indique « c’est un régime ce n’est pas un crime », manque de chance ils sont tombés sur l’aspect du conflit que je maîtrise le plus et sur lequel je me documente le plus depuis 10 ans. Alors voici quelques arguments et éléments d’analyse sur l’autonomisation d’une définition juridique de l’apartheid qui en fait un crime à part entière en droit international.
Conventions internationales qui consacrent cette notion d’apartheid :
• la Convention internationale sur l'élimination de toutes formes de discriminations raciale (CIEDR) de 1965 ;
• la Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid de 1973 (Convention contre l'apartheid) ;
• le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale de 1998 (Statut de Rome de la CPI) ;
• le protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, relatif à la Protection des victimes des conflits armés internationaux de 1977 (protocole additionnel 1).
Dans le détail ce sont surtout la Convention contre l'apartheid et le Statut de Rome qui y consacrent une définition détaillée.
Le statut de Rome en instituant la CPI lui confère compétence pour les génocides, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et d'agression. L'article 7 dresse une énumération d'actes constitutifs de crime contre l'humanité, tels que l'extermination, la réduction à l'esclavage, le transfert forcé de population ou encore l'apartheid. Ce dernier est définit comme suit : « par crime d'apartheid, on entend des actes inhumains analogues à ceux que vise le paragraphe 1, actes inhumains commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de domination d'un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l'intention de maintenir ce régime. » Cette définition est inclusive en ce sens où elle permet d'inclure une variété de crimes contre l'humanité en vertu du système d'apartheid. Le recours à la formule « actes inhumains analogues visés par le paragraphe 1 » crée une situation d'interaction des définitions apportées, dans laquelle certains crimes listés peuvent être classés dans la définition de l'apartheid et inversement.
La liste dressée par le Statut de Rome est nettement moins exhaustive et moins précise que celle de la Convention contre l'apartheid de 1973. On peut y lire que les actes inhumains les plus pertinents dans le cadre de la notion d'apartheid sont ceux visés par le crime de persécution, qui recouvre « le déni intentionnel et grave de droits fondamentaux en violation du droit international, pour des motifs liés à l'identité du groupe ou de la collectivité qui en fait l'objet ».
L'institutionnalisation de l'apartheid en une norme juridique autonome va de pair avec la consécration de cette notion en crime international. C'est là tout l'apport de la Convention de 1973 mais dont les prémisses sont posées par la résolution 2202 de l'Assemblée Générale du 2 décembre 1966 condamnant « la politique d'apartheid pratiquée par le gouvernement sud-africain comme un crime contre l'humanité ». La Convention contre l'apartheid trouve donc sa source dans l'opposition des Nations Unies à la politique de discrimination raciale du gouvernement sud-africain et à sa détermination à contraindre ce gouvernement à abandonner cette politique.
La Convention contre l'apartheid constitue la dernière étape
De plus, à la lecture des nombreux textes qui ont postérieurement consacré l'apartheid, plusieurs constats s'imposent quant à la volonté expresse de faire de l'apartheid un crime autonome du cas sud-africain. Que la Convention contre l'apartheid ait vocation à s'appliquer à des situations autres que celles de l'Afrique du Sud, trouve confirmation en ceci qu'elle est consacrée dans des instruments de portée plus étendue, adoptés avant et après la chute de l'apartheid.
En effet, aux termes du premier Protocole additionnel de 1977 aux Conventions de Genève de 1949, les pratiques de l'apartheid constituent une « infraction grave » au Protocole, sans aucune limitation géographique. Le crime d'apartheid est de la même façon, consacré par plusieurs instruments de la Commission du droit international sans limitation géographique. En 1976, l'article 19 du Projet d'articles sur la responsabilité des Etats reconnaît comme étant un crime international impliquant responsabilité étatique, par contraste avec la responsabilité des individus, « une violation grave et à une large échelle d'une obligation d'importance essentielle pour la sauvegarde de l'être humain comme celles interdisant l'esclavage, le génocide, l'apartheid ».
Le projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité adopté en première lecture par la Commission du droit international en 1991, qualifie l'apartheid de crime, sans faire référence à l'Afrique du Sud'' et, selon, l'article 18, alinéa (f) du projet de code adopté en deuxième lecture en 1993, la discrimination raciale institutionnalisée est une forme de crime contre l'humanité, le commentaire dudit article précisant que « c'est en fait le crime d'apartheid sous une autre dénomination ».
Le Statut de Rome de la Cour Pénale internationale adopte une approche similaire et retient l'expression « crime d'apartheid » dans sa description des crimes contre l'humanité (art.7). On peut en conclure que la Convention contre l'apartheid est morte si l'on en juge par sa raison d'être originelle, l'apartheid en Afrique du Sud, mais survit sous forme de crime contre l'humanité, au regard du droit international et du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Tant d'éléments qui montrent que cette incrimination est susceptible de s'appliquer dans les situations autres que celle de l'Afrique australe.
Au-delà de cette analyse, il est à noter que le crime d’apartheid commis par Israël est très largement documenté, plusieurs ONG ont consacré des rapports sur le sujet : l’ONG israélienne B’tselem, l’ONG palestinienne Al Haq ou encore Amnesty international et Human Rights Watch pour ne citer qu’elles.
Enfin sur cette question de l’apartheid, le dernier avis de la Cour internationale de justice sur les conséquences juridiques de la colonisation et de l’occupation israéliennes est sans équivoque : Israël instaure un régime de séparation et discrimination entre les individus en raison de leur origine.
S’agissant désormais du génocide, je ne m’y attarde pas je l’ai largement relayé ces derniers mois, le cratère intentionnel des actes génocidaires perpétrés par Israël est lui aussi largement documenté et dénoncé y compris par l’ONU.
Quant à l’ordonnance rendue par la CIJ le 26 janvier 2024 elle évoquait certes un risque de génocide et elle n’a pas encore rendue de décision sur le fond, cependant on oublie d’indiquer qu’elle a demandé à Israël des mesures conservatoires visant à prévenir ce génocide, ce qu’Israël n’a pas respecté au contraire l’offensive Israël a été plus massive et plus génocidaire suite à publication de cette ordonnance.
En outre, rappelons que la convention sur la prévention et la répression du génocide oblige les États et les sociétés qui les composent à agir pour PRÉVENIR le génocide, c’est à dire d’agir dès lors que le risque de génocide est avéré et documenté ce qui a été fait dés l’ordonnance de janvier 2024.
Enfin, rappelons que même en Israël des voix s’élèvent contre le génocide à Gaza « L’historien Amos Goldberg, titulaire de la chaire Jonah M. Machover d’études sur la Shoah à l’Université hébraïque de Jérusalem, a publié, en avril 2024, dans le magazine en ligne Local Call (Siha Mekomit en hébreu), un article accusant Israël de commettre un génocide à Gaza. ».
J’en conclus ceci, si Israël est devenu un État paria et détestable sur la scène internationale c’est précisément à cause de ses agissements et non pas à cause de nous militants et militantes qui dénonçons ses crimes et agissements. Il est assez désespérant de inquiétant de voir la France sombrer dans ce qui est désormais une complicité avéré du génocide en cours dés lors qu’elle œuvre davantage à silencier et à criminaliser les voix qui s’élèvent contre le génocide qu’à condamner l’Etat qui en est responsable.
Je suis finalement assez satisfaite que ces procédures aient lieu, elles permettront de faire toute la lumière sur l’agenda politique qui se cache derrière cette criminalisation. Pour l’histoire, pour le présent comme pour l’avenir.