samedi 22 mars 2025

« Le degré de déshumanisation des Palestiniens est sidérant »




« Le degré de déshumanisation des Palestiniens est sidérant » alerte Mara Bernasconi, chargée de plaidoyer pour la Palestine à Handicap International

Après plus de 15 mois de bombardements sur la bande de Gaza, faisant près de 50 000 morts, Israël a de nouveau suspendu l’aide humanitaire, aggravant les pénuries d’eau et de nourriture. Une violation du droit international humanitaire que dénonce Mara Bernasconi, de retour d’une mission d’Handicap International sur place. Elle appelle une réaction ferme de la communauté internationale.

La première phase de l’accord entre Israël et le Hamas, entré en vigueur le 19 janvier sous l’égide du Qatar, de l’Égypte et des États-Unis, avait instauré un cessez-le-feu fragile et permis l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza. Il y a treize jours, Israël a de nouveau bloqué l’acheminement de l’aide et coupé l’électricité, en violation du droit international humanitaire, alors que la seconde phase de l’accord reste en suspens.

Malgré la reprise des frappes israéliennes, les négociations se poursuivent à Doha pour prolonger la trêve. Présente dans les territoires palestiniens occupés depuis 1996, Handicap International maintient ses interventions sur le terrain. De retour d’une mission sur l’acheminement de l’aide en février, Mara Bernasconi, chargée de plaidoyer pour la Palestine, témoigne de la situation humanitaire sur place.

Mara Bernasconi, Chargée de plaidoyer pour la Palestine pour Handicap International répond :

Pourquoi avez-vous décidé d’entrer dans la bande de Gaza début février et quelle était votre mission ?

"Même si peu croient en un arrêt des combats, nous avons jugé que c’était le moment d’intensifier nos activités. Avec le cessez-le-feu, les déplacements étaient moins restreints, ce qui nous a permis d’accélérer nos distributions. J’ai accompagné mes collègues en charge de la réhabilitation d’urgence, de la distribution d’aide à la mobilité, des sessions de sensibilisation aux dangers des explosifs et du soutien psychosocial. Nous allions de tente en tente pour aider ceux avaient récemment été amputées.

Ce fut également une occasion pour nos collègues palestiniens de souffler un instant. Certains ont pu prendre leurs premiers jours de congés après 15 mois de guerre, pour voir si leurs maisons tenaient encore debout ou pour sortir les corps des décombres. Ils traversent un tsunami d’émotions, soulagé d’avoir un instant de répit, mais anéantis par le deuil."

Comment décririez-vous les conditions de vie des Gazaouis et des humanitaires présents ?

"Handicap International compte plus de 300 collègues palestiniens et 6 internationaux, parmi lesquels des psychologues, prothésistes, des démineurs, ainsi que du personnel logistique et de sécurité. Il est évident qu’ils vivent dans des conditions inhumaines : sans électricité, avec un accès à l’eau limité, exposés à l’humidité, au froid et aux tempêtes de sable. Lorsque j’étais sur place, des tentes s’envolaient sous l’effet du vent, alors que les Gazaouis n’ont déjà plus rien. Ce ne sont que des abris de fortune. L’ampleur des destructions est inimaginable, des immeubles effondrés, des décombres partout, des routes détruites par les bombardements, le bitume en miettes, au point que certains ne reconnaissent plus leur propre quartier.

Les gens vivent avec la peur constante du prochain bombardement. Ils savent qu’ils peuvent être touchés à tout moment, sans distinction (Au 1 décembre 2024, l’ONU estimait à 333, le nombre de travailleurs humanitaires tués dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023, NDLR). Beaucoup se demandent pourquoi le quartier a été épargné jusque-là. Certains vont jusqu’à se dire : « Pourquoi pas moi ? »

Pour survivre, des familles prennent des décisions déchirantes : elles se séparent, le père avec certains enfants, la mère avec les autres, les uns dans le centre de Gaza, d’autres au Sud. Ce sont des conditions effroyables. Certains ne mangent qu’un repas par jour, pour nourrir leurs enfants."

Depuis votre retour, Israël a bloqué l’entrée de l’aide humanitaire et couper l’électricité. Redoutez-vous de nouvelles pénuries ?

"Lors du cessez-le-feu, nous avons pu faire entrer une quantité importante d’aide : des prothèses, des orthèses, du matériel de première nécessité. Mais nos stocks s’épuiseront bientôt. Le blocage de l’aide au début du mois constitue une violation flagrante du droit humanitaire. Selon les traités internationaux, la puissance occupante a l’obligation d’assurer l’approvisionnement de la population en nourriture, en eau, en médicaments et faciliter l’acheminement des secours (comme le stipule la Convention de Genève de 1949, NDLR). Or, ils utilisent l’aide humanitaire comme une monnaie d’échange dans les négociations. Il s’agit d’une punition collective. Nous craignons les conséquences de cette suspension : la famine est une arme de guerre. Combien de temps allons-nous encore observer ces violations, les énumérer, en débattre, sans agir ?"

Qu’attendez-vous de la communauté internationale ?

"C’est une question de volonté politique, entre les mains de quelques-uns. Les États tiers au conflit ont eux aussi des responsabilités vis-à-vis du droit international humanitaire (DIH), dont l’interdiction d’apporter un soutien matériel, financier ou militaire aux parties au conflit, faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et de faire respecter le droit. Les pressions diplomatiques ne suffisent plus. Dénoncer le blocage de l’aide humanitaire est une chose, agir concrètement en est une autre."