vendredi 5 septembre 2025

L’illusion d’une opposition démocratique en Israël



Le changement de ton en France sur la guerre que mène Israël à Gaza s’accompagne d’un discours qui met en avant les initiatives des opposants au gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou. Or, à y regarder de plus près, ces divergences relèvent davantage d’une différence de degré et non de nature, en l’absence d’une remise en question des fondements colonialistes de la politique israélienne.

Tel-Aviv, le 31 mai 2025. Une manifestation antigouvernementale appelant à agir pour obtenir la libération des otages israéliens devant le ministère de la défense. Sur la banderole de tête : « Sauvez les otages, arrêtez la guerre. »


C’est un scénario connu, presque automatique. Il suffit qu’une voix s’élève contre le premier ministre Benyamin Netanyahou et son gouvernement, qu’un geste de dissidence apparaisse dans l’espace politique ou public israélien, pour que les médias français réactivent un vieux récit rassurant : celui d’une opposition démocratique, libérale, progressiste, dressée face à un gouvernement d’extrême droite qui ne serait, au fond, qu’une parenthèse autoritaire dans l’histoire de l’État démocratique et exemplaire qu’est Israël.

Cette dynamique se révèle avec une netteté particulière aujourd’hui. Lorsque des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue pour s’opposer au projet de Netanyahou de maintenir un contrôle militaire permanent sur Gaza, les médias présentent ces mobilisations comme des appels pacifistes, libéraux ou humanistes contre la guerre. Cette lecture occulte pourtant leur véritable objectif, qui est avant tout la libération des otages. La fin du conflit y apparaît non comme une revendication en soi, mais comme un prix nécessaire, le seul moyen d’y parvenir. Le génocide en cours à Gaza et la catastrophe humanitaire qui frappe les Palestiniens restent largement absents de ces discours.

Les sondages le confirment : en juin 2025, selon l’Institut israélien de la démocratie, 76,5 % des Israéliens estiment qu’il ne faut pas prendre en compte la souffrance des Palestiniens dans « la planification de la poursuite des opérations militaires ». Seule une minorité marginale en fait état dans sa mobilisation, elle-même fragmentée : d’un côté, un groupe représenté par Standing Together, qui dénonce les crimes commis à Gaza, mais sans parler de génocide, affirmant que le problème vient du gouvernement d’extrême droite et que la société israélienne mérite mieux que ses dirigeants ; de l’autre, un groupe anticolonial, constitué de manière informelle entre autres par des membres d’organisations de gauche radicale, mais aussi par des militants non affiliés, qui dénonce le génocide et le relie directement à la politique coloniale poursuivie par Israël depuis la fondation de l’État.

Même réflexe lorsqu’un appel de réservistes appelant à mettre fin à la guerre à Gaza est publié le 10 avril 2025 : la couverture médiatique suggère alors un « réveil » de « l’armée la plus morale du monde ». Le caractère tardif de cette prise de parole, émanant de personnes ayant participé activement à la guerre contre Gaza, est passé sous silence. Leurs motivations individualistes et, pour la plupart, pas du tout politiques aussi. Pire encore, la couverture ne précise pas que ces appels ne mentionnent pas les victimes palestiniennes : ils présentent la fin du conflit comme un « prix à payer » pour libérer les otages — uniquement les otages. Deux textes, au mieux, signés de pilotes de l’armée de l’air et de membres des services de renseignement de l’armée, évoquent après coup la mort de « civils innocents », sans jamais préciser de quels civils il s’agit.

Un réveil de l’armée ?

Puis il y a cette phrase de l’officier militaire et major général de réserve Yair Golan, en mai 2025 : « Israël tue des enfants comme un hobby. » Elle fait le tour des médias français, qui l’érigent aussitôt comme l’expression d’une conscience morale, l’illustration d’une gauche retrouvée. Mais on oublie que ce même Golan appelait, en octobre 2023, à affamer Gaza, et en septembre 2024 à refuser tout cessez-le-feu avec le Liban. Surtout, quelques jours seulement après sa sortie, l’officier revient sur ses propos et affirme sur Channel 12, la chaîne la plus regardée du pays : « Israël ne commet pas de crimes de guerre à Gaza. »


https://orientxxi.info/magazine/l-illusion-d-une-opposition-democratique-en-israel,8454