Inscrit comme lobby officiel du gouvernement israélien auprès de l’Assemblée nationale, Elnet s’inspire des réseaux américains pro Netanyahu pour influencer les journalistes et les politiques français. Méconnu du public, il développe une stratégie médiatique de plus en plus agressive en offrant des éléments de langage clé en main, visant à taire toute critique de l’extrême droite au pouvoir à Jérusalem, avec le soutien de nombreuses personnalités très conciliantes avec les massacres en cours à Gaza. Décryptage.
« La haine des Juifs aujourd’hui s'exprime massivement en Europe par les Arabes, les Musulmans, les Islamistes, les Wokistes qui veulent détruire Israël […] et toutes les sociétés démocratiques modernes. » Cette déclaration diffusée le 24 décembre 2024 sur la chaîne Youtube Qualita Israël complète la longue liste des propos outranciers tenus depuis plus de deux ans par le directeur général d’Elnet Arié Bensemhoun. Organisation jusque-là discrète, Elnet - acronyme de European Leadership Network (Réseau européen des leaders) - a fait une percée médiatique après les attaques meurtrières commises par le Hamas en Israël le 7 octobre 2023 et a fortement contribué à enflammer le débat sur la question israélo-palestinienne.
Par la voix d’Arié Bensemhoun, Elnet s’est fait une spécialité de marteler des affirmations mensongères et diffamantes sur les réseaux sociaux et dans certains médias : Radio J, I24 News, CNEWS, Sud Radio. Voici quelques extraits de ses diatribes : « Le Président Emmanuel Macron a donc rendu visite à cette #PlanchePourrie de #Abbas à Ramallah [...] Abbas le menteur cacochyme, le corrompu, le Dr en antisémitisme et négationnisme » (Facebook, 25 octobre 2023), « Tous les médecins, tous les journalistes, tous les humanitaires, tous les fonctionnaires des organisations internationales qui vivent à Gaza sont des agents du Hamas. Tous ! » (7 décembre 2023, Radio J), « la rédaction de @franceinfo est infiltrée par des islamistes et des soutiens du @hamas » (X, 25 Janv 2025), « Gaza n’est pas Auschwitz. Gaza, c’est Berlin en 1945 » (www.elenetwork.fr, 15 mai 2025).
Taisez-vous Madame !
La récurrence et la constance de ces propos témoignent qu’il ne s’agit pas de dérapages incontrôlés mais d’une stratégie de communication précise qui vise à attirer l’attention et à élargir le champ des possibles dans le débat public. Avec pour objectif principal de susciter un soutien inconditionnel à la politique du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Cela passe par le martellement de deux arguments : d’une part, les Palestiniens et les ONG qui leur viennent en aide sont complices du Hamas, et rendent donc légitimes les massacres de masse de l’armée israélienne ainsi que l’interdiction de l’aide humanitaire, d’autre part, toute critique de la politique menée par le gouvernement Netanyahu relève de l’antisionisme qui dissimule un nouvel antisémitisme.
Pour faire infuser ces arguments dans le débat public, Elnet se positionne sur deux niveaux de discours. D’abord un niveau radical, avec une guérilla menée par Arié Bensemhoun sur les réseaux sociaux et les médias amis qui vise à élargir la fenêtre d’Overton en répétant des propos outranciers jusqu’à les banaliser. Le second niveau de discours est pensé comme plus rassembleur. Il mobilise des personnalités influentes et considérées comme légitimes aux yeux du grand public : universitaires, artistes, journalistes, diplomates. Elnet leur donne la parole dans de grands meetings parisiens. Les propos tenus dans ces rassemblements sont ensuite repris et diffusés à la fois par le bouche-à-oreille des personnes présentes (entre 1000 et 2000 en moyenne) et par les médias qui rendent compte de ces rassemblements.
Michel Onfray en guest star
Un autre rassemblement a été organisé par Elnet sous son prête-nom Agir Ensemble le 19 mars 2024 à la salle Pleyel : « La grande conférence ». En l’occurrence, le conférencier n’était autre que Bernard-Henri Lévy, et cette soirée était destinée à promouvoir son livre Solitude d’Israël (Grasset). Ce meeting a rassemblé 2200 personnes dont des responsables politiques et des personnalités des médias, de l’édition et du cinéma : Manuel Valls, Jean-Michel Blanquer, Yvan Attal, Charlotte Gainsbourg, Laurence Ferrrari, Christophe Barbier, Romain Goupil, Olivier Nora, Christine Orban, Jean-Paul Enthoven... Et Steve Suissa en habituel maître de cérémonie.
Quand BHL nie les colonies et la Nakba
Elnet – Agir Ensemble a connu son heure de gloire le 26 mars 2025 lors du « Rassemblement pour la République » organisé au Dôme de Paris. Etaient présents les habituels invités Yvan Attal, Manuel Valls, Jean-Michel Blanquer ou Thibault de Montbrial avec cette fois une forte présence de politiques : Bruno Retailleau, François-Xavier Bellamy, Noëlle Lenoir. Un rassemblement qui s’est distingué par des prises de parole décomplexées à l’encontre des musulmans de France et des Palestiniens : « A bas le voile, bien sûr », s’est notamment exclamé le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau (1).
Une intervention particulière mérite d’être soulignée, celle d’un autre habitué de ces rencontres, l’ancien ambassadeur Eric Danon. Car ce jour-là, il a donné beaucoup d’écho à un propos singulier qu’il avait déjà tenu dans un entretien au Figaro le 18 octobre 2024 : « Il n’y a pas de génocide mais il y a une nécessité absolue, pour les islamistes et les pro-Palestiniens, de dire qu’il y a génocide parce qu’ils en ont besoin pour parachever une identité palestinienne mimétique de celle des Juifs. » Une affirmation qui s’est ensuite largement diffusée, notamment par la voix d'Yvan Attal le 30 mars sur Radio J : « Même notre Shoah, ils la veulent. » Le rôle d’influenceur d’Elnet dans le débat public démontrait une nouvelle fois son efficacité.
Séjours « tout compris » en hôtel de luxe
L’influence d’Elnet se joue depuis plus longtemps sur un autre plan, celui du lobbying auprès des responsables politiques. Inscrite officiellement au registre de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) comme groupe de pression auprès de l’Assemblée nationale, l’association finance des séjours « tout compris » de parlementaires français. Avec une première anomalie notable : alors qu’elle s’est officiellement inscrite en décembre 2024, Elnet finance des voyages au moins depuis 2019 (l’inscription au registre des lobbies parlementaires est obligatoire depuis 2017).
Elnet est même l’organisation qui fait le plus voyager les parlementaires français : plus de 90 séjours de sénateurs et députés intégralement payés depuis 2019. L’hébergement se fait en hôtel de luxe, l’Intercontinental King David de Tel Aviv, où le tarif pour une nuit est compris entre 500 et 2300 euros. Dans les documents qu’Elnet a remis à la HATVP, l’organisme mentionne entre 100 000 et 200 000 euros dépensés chaque année depuis 2020 pour ses actions de lobbying en faveur de la politique gouvernementale israélienne (des sommes impossibles à vérifier, car Elnet n'a pas publié son budget et ses financements).
L’objectif de faire voyager les élus part d’un constat simple : une fois qu’ils sont allés sur place, les parlementaires semblent beaucoup plus acquis à la cause gouvernementale israélienne. C’est en tout cas ce dont les dirigeants d’Elnet semblent convaincus. Dans un document de 2017 intitulé « Gagner la bataille pour Israël en Europe », ils dressaient le constat suivant : « Aux États-Unis, environ 85 % des responsables politiques américains se sont rendus en Israël (la plupart lors de voyages offerts), contre seulement 12 % en Europe. Ces voyages sont toujours révélateurs pour ces décideurs et leur offrent un regard éclairé sur les réalités auxquelles Israël est confronté. »
AIPAC, le modèle américain
C’est justement au retour d’un voyage de 2010 aux États-Unis qu’Arié Bensemhoun a voulu importer les méthodes de lobbying agressif nord-américaines. Il l’a clairement expliqué dans un document du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), alors qu’il en était un des dirigeants : « L'AIPAC produit des contenus de grande qualité grâce à ses think tanks, ses professionnels et ses méthodes de management qui créent les conditions de la mobilisation de tous les talents que compte la communauté. Nous avons donc beaucoup appris et nous ramenons beaucoup d'enseignements que nous allons essayer d'adapter en France. »
Le CRIF a d’abord été l’organisme qu’il a tenté de convertir à ses méthodes. A deux reprises, en 2007 et en 2013, il s’est présenté pour en prendre la présidence. Et les deux fois il a échoué. Arié Bensemhoun s’est alors replié sur Elnet France, dont il est directeur depuis 2011, soit un an après sa création. Elnet est une organisation essentiellement européenne, qui a été fondée en 2007 sur le modèle de l’AIPAC. En plus de ses équipes aux États-Unis et en Israël, elle possède des antennes en Italie, Grande-Bretagne, Allemagne, Pologne et à Bruxelles où elle est inscrite comme lobbyiste auprès de l’Union Européenne.
Quand Elnet finançait la campagne de Macron
C’est comme représentant d’Elnet que Jean-David Bénichou s’est rendu en 2018 au grand forum annuel organisé par l’AIPAC aux États-Unis. A cette occasion, il a donné une interview à la télévision israélienne I24 News le 6 mars 2018 dans laquelle il a déclaré : « On est venus apprendre [...] nous avons pour ambition de construire en France et en Europe une plateforme équivalente. » Et il livra l’un des objectifs d’Elnet : « 85 % des parlementaires américains ont été au moins une fois en Israël, ils ne sont que 12 % en France. » Le message était bien passé.
Le deuxième homme-clé est Philippe Guez, qui a été vice-président en Israël de la banque d’affaires Rothschild, où Emmanuel Macron a fait carrière, et représentant du MEDEF en Israël. Son nom fait partie de ceux qui ont été révélés par les « Macron Leaks », associé à celui d’Arié Bensemhoun. Car Philippe Guez a présenté le directeur d’Elnet France à Emmanuel Macron un soir de mai 2016, en pleine campagne électorale présidentielle. Pour financer sa candidature, Emmanuel Macron avait organisé des dîners de donateurs, pendant lesquels une dizaine de personnes avaient le privilège de partager le repas du candidat. En échange de 7500 euros chacun. Aumône dont se sont délestés Philippe Guez et Arié Bensehmoun, présent au titre d’Elnet, lors de ce dîner.
De la mairie de Nice à l’ambassade nord-américaine
Elnet va pouvoir compter sur un nouveau soutien de poids en France : l’ambassadeur des Etats-Unis Charles Kushner, confirmé à ce poste par un vote du Sénat américain le 19 mai 2025. Connu pour être le père du gendre de Donald Trump, Jared Kushner, et pour avoir été condamné pour fraude fiscale puis gracié par... Donald Trump, Charles Kushner est actionnaire à hauteur de 20 % du trust immobilier familial, Kushner Companies, dont la valorisation dépasse les deux milliards de dollars. Présidé par sa fille Nicole Kushner, ce trust a pour directeur exécutif un Français, Laurent Morali, qui porte une autre casquette : il est membre du conseil d’administration d’Elnet aux Etats-Unis. Une aide précieuse pour organiser de futurs meetings et des rencontres d’influence dans les salons de l’ambassade américaine.
(1) Lire le compte-rendu de Blast : https://www.blast-info.fr/articles/2025/au-meeting-pour-la-republique-contre-lislamisme-on-appelle-a-sentrainer-a-sarmer-physiquement-0marnu3KR-i3yc93kIUsJA