mardi 7 octobre 2025

7 octobre 2025 - 7 octobre 2023



Rappelons-nous l'état de sidération dans lequel nous étions ce jour-là. Rappelons-nous la bataille sémantique qui s'est immédiatement engagée autour du mot "terrorisme". Rappelons-nous les scénarios que nous imaginions pour la suite. Un historien doit aussi conserver ses propres archives, pour vérifier si ses analyses tiennent le coup, sur la durée. Cette interview à été réalisée le 11 octobre 2023 et publiée par Le Monde trois jours plus tard. Aujourd'hui je n'en modifierais pas une ligne :

• "Il n’y a aucun précédent. 1 300 morts en une seule journée, pour les Israéliens c’est un bilan plus lourd que durant les cinq années de la seconde Intifada (2000-2005). Rapportée à la population française, cela correspondrait à 10 000 morts en France. C’est proprement vertigineux, et jamais Israël n’avait vécu un traumatisme aussi profond. Revenir aux épisodes les plus sombres du conflit suffit pour s’en convaincre.

• Ces attaques relèvent bien sûr du terrorisme, car des centaines de civils, dont des femmes et des enfants, ont été assassinés méthodiquement, avec une cruauté invraisemblable. Par ailleurs, ces massacres n’étaient pas de simples “dommages collatéraux” de l’opération, ils ont été coordonnés par une organisation structurée.

• Si ces massacres ne sont pas accidentels, il faut dès lors admettre que le choix de la terreur relève bien d’une stratégie politique.

• L’objectif de cet acte horrifique est d’entraîner Israël dans une fuite en avant pour lui tendre un double piège : un piège stratégique et un piège moral. Le piège stratégique consiste à faire entrer les soldats israéliens dans Gaza, où les combattants du Hamas les attendent, protégés par un immense réseau d’abris souterrain.

• Le piège moral consiste à provoquer Israël afin que son armée commette des crimes de guerre d’une ampleur inédite. In fine, l’objectif est un retournement de l’opinion publique mondiale. Ces crimes de guerre ont déjà commencé, avec l’arrêt total de la distribution d’eau et de nourriture aux 2,3 millions d’habitants de la bande de Gaza, ainsi que des bombardements aveugles qui ont déjà causé la mort de de 1900 Palestiniens de Gaza.

• On est au bord de l’abîme. La déflagration du 7 octobre risque de déborder les frontières régionales, dans un contexte géopolitique global déjà extraordinairement tendu. La communauté internationale ne peut se décharger du problème car c’est elle qui a paramétré ce conflit, depuis le mandat élaboré après 1917 par la Société des nations jusqu’au vote sur le partage de la Palestine par les Nations unies en 1947.

• L’histoire nous enseigne que c’est au bord de l’abîme que des décisions douloureuses peuvent être prises. Ce cinquième acte – celui du dénouement dans la tragédie grecque – a commencé par des scènes de guerre, de pogrom et de carnage. Il appartiendra aux Israéliens, aux Palestiniens et aux consciences internationales d’en écrire les scènes suivantes".

Vincent Lemire, historien : « Depuis l’attaque du Hamas contre Israël, nous sommes entrés dans une période obscure qu’il est encore impossible de nommer »